J’ai longtemps hésité à publier cet écrit, étant donné l’intensité des paroles et la lourdeur des émotions présentes, mais après maintes réflexions, je me suis rappelé à quel point je me sentais seule lorsque j’ai subi mon premier choc du retour. C’est pour cette simple raison que j’ai décidé de partager avec vous l’entièreté de mes pensées et des mes actions lors des premières heures qui ont suivi mon retour au pays. J’espère que ce texte permettra à certains de se sentir moins abandonnés et à d’autres de comprendre un proche qui est atteint de cette fameuse maladie guérissable, le choc du retour.   

Deux semaines loin de chez moi, dans une famille inconnue, avec un groupe d’amis du secondaire, un projet de coopération internationale en tête, une langue étrangère, du riz et des bines en quantité industrielle matin, midi et soir.

Cette expérience a redéfini ma vie. Redéfini, comme si on décidait d’effacer un livre de 160 000 mots et de tout recommencer. Aïe que ça fait mal ! Ta tête décide de tout changer, mais tu as 16 ans. 16 ans et une crise identitaire à affronter. Plusieurs semaines à broyer du noir, à détruire des idées sociétaires préconçues, à essayer de construire ton monde. Tu dois redéfinir ta vie entourée d’un pays qui est maintenant inconnu à tes yeux. Tu n’es plus occidentale, tu n’es plus nord-américaine, tu n’es plus canadienne, tu n’es plus québécoise, qui es-tu ?

Mon corps fut secoué par une multitude de petits coups.

« Marie ! Réveille-toi, on est arrivés »

Où sommes-nous ? Mes narines humèrent une forte odeur d’essence, un froid extrême patina sur la surface de ma peau brûlée par le soleil, tandis que mes yeux endormis furent aveuglés par une puissante lumière artificielle. Mon regard se posa sur la fenêtre de l’autobus qui servit de support à ma tête. Le Québec !

Les voix à l’extérieur de l’autobus commencèrent à se faire de plus en plus fortes. Nos parents ! Nos parents qui nous attendaient, impatiemment, après presque trois semaines sans avoir vu leur enfant.

Les minutes passèrent, mon corps restait figé. Normal. Il obéissait comme un soldat à ma tête qui lui ordonnait de ne pas partir de cet engin de transport jaune.

Si tu sors, c’est la fin Marie, c’est la fin ! La fin de ton voyage ! La fin, la chose que tu redoutais le plus lors de ton départ, me répétait mon esprit.

Un par un, mes amis commencèrent, tranquillement, à sortir. Des cris de joie s’ensuivirent.

« Comment vas-tu ? » « As-tu faim mon amour ? » « Où sont tes valises ? »

Mais, pendant tout ce temps, je ne réagis guère. Rapidement, le ton de voix des gens qui me parlaient augmentait.

« Dépêche-toi, on n’a pas juste ça à faire t’attendre ! »

Le soldat n’écouta plus son caporal. Mes jambes commencèrent à bouger jusqu’aux marches de l’escalier. Ma tête fut TRAUMATISÉE ! J’allais me jeter dans la gueule du tigre, bien malgré moi. Un tigre inconnu, capitaliste, déshumanisé et égocentrique.

« Ma chérie ! Comment vas-tu ? », cria ma mère, avec un gros bisou sur le front.

« Bien », réussis-je à dire.

« Viens, on rentre à la maison ».

À la maison ? Quelle maison ? Je n’ai certainement pas de maison ici ? Je me sens autant seule qu’un palmier dans une forêt boréale. Je me sens nue, mise à poils devant un peuple qui me juge. Je me sens abandonnée, complètement perdue sur une île déserte, mais accompagnée de centaines d’animaux qui ne me comprennent pas ou, plutôt, qui ne me comprennent plus. Je me sens vide, le néant commence à m’habiter.

Je rentrai dans la grande voiture de maman. Elle m’aida à embarquer mes valises et, hop, elle démarra. En route vers la soi-disant maison…

« Dis-moi tout ! Comment c’était ? »

« Bien maman »

« Tu as bien mangé ? »

« Oui maman »

« Tu n’as pas été malade j’espère ? »

« Juste un peu maman »

« Qu’as-tu eu ? Tu as vomi ? Tu as eu la diarrhée ? Tu as fait une intoxication alimentaire ? Tu t’es blessée ? »

« Rien de trop grave maman, je t’expliquerai plus tard »

« Bon, je vois que tu ne veux pas trop me parler. Ça doit être la fatigue »

Un silence de mort suivit cette courte discussion qui reflétait bien mes sentiments, un cocktail d’incompréhension, de déni, de deuil, de dégoût.

AVERTISSEMENT : Ne jamais boire ce verre même si votre vie en dépend.

« Pourquoi il y a autant de lumières dans les rues pendant la nuit ? », demandai-je à ma mère.

« C’est pour nous aider à voir »

Aider à voir quoi ? Il n’y a personne dans les rues ! Les gens ont tant peur du noir ici ? On se croirait en plein jour avec ces grosses lumières. Comment apprécier la nuit lorsqu’elle ressemble au jour ? Ces lampadaires brisent la lumière des étoiles qui elle nous permet de bien voir.

« Nous sommes arrivés », formula maman.

Cette grosse bâtisse était ma maison ? Impossible ! Beaucoup trop gros, beaucoup trop de lumières, beaucoup trop de décorations de Noël à l’extérieur. Je montai les marches du balcon péniblement. Je sorti ma clé et l’entrai dans la serrure. Elle fonctionnait ! Oui, c’était bien ma maison alors. Malheureusement…

« Je t’ai coulé un bon bain chaud, va te laver, tu es très sale. Après, tu iras dormir »

« Maman, ça fait juste quatre jours que je ne me suis pas lavée. Je peux attendre encore un peu »

« Tu es sale, va te laver tout de suite », m’ordonna-t-elle.

Un bain ? C’est quoi déjà cette invention ? 8 litres d’eau pour purifier mon corps de quelques saletés ! IMPOSSIBLE ! Je veux mon seau d’eau, contenant 500 ml, je vous en supplie, je le veux. Honte à moi si j’entre dans cette mer d’eau minéralisée couverte d’une mousse épaisse.

Je fixai mon bain. Le vertige s’empara de tout mon corps, un sentiment de dégoût envahissait ma tête. Je pris mon courage à deux mains et déposa mon pied dans ce liquide trop pur. Tranquillement, je plongeai mon corps, mais ce sentiment de honte continua à me submerger.

« Va te coucher chérie, tu dois être bien fatiguée ! »

Orpheline, dans cette trop grande chambre, trop froide, trop silencieuse, trop sombre, trop vide.

Où est la chaleur qui envahissait les pores de ma peau et m’empêchait de dormir ?

Où est le minuscule lit que je partageais, serrée, avec mon sac à dos ?

Où sont les lumières des étoiles qui pénètrent les trous du toit en tôle ?

Où sont les coqs qui commencent à chanter à 5 heures du matin ?

Où est la vérité que j’apercevais dans chaque regard ?

Où est l’amour que je respirais chaque seconde ?

Où est le partage qui se répandait facilement ?

Où sont les esprits ouverts et tolérants ?

Où est la débrouillardise ?

Où est l’authenticité ?

Où est la simplicité ?

Mes yeux se fermèrent et je retombai dans mon monde de rêves parfaits en espérant me réveiller et retrouver un chez-moi.

Article rédigé par Marie Guérard.

Tu pourrais également aimer :