Julie, en direct de la France, en ce mois de novembre bien avancé : « j’espère que vous avez laissé Netflix à lui-même, parce que s’il existe une saison idéale pour les promenades, c’est bien l’automne ! ». Autour de Bordeaux, dans le sud de la Gironde, les paysages ruraux se succèdent et restent imprégnés dans l’esprit un moment après que la fatigue d’une fin de journée ne vous gagne. Ce sont des villages reculés dans la campagne, des vallons parcourus par la vigne, où le fumier se charge d’une forte odeur sucrée. Des poules nous toisent sur les hauteurs, tandis que des biches s’échappent hors du tableau et de son encadrement doré, à l’instant de les croiser.
Les forêts des Landes de Gascogne, un trésor du sud-ouest
Pour un voyageur qui n’est pas familier avec la région, les hangars qui apparaissent soudainement dans les jardins se parent de mystère. Quand on les rencontre au tournant d’un virage, ils impressionnent un peu même. Ils semblent émerger d’un autre siècle, avec leur parfum de bois qui n’a pas connu la neige et leur ombre qu’ils projettent loin sur le sol, jusqu’au fossé, à nos pieds. Ce sont d’anciens séchoirs à tabac qui avaient gagné leur place dans chaque ferme. Il faut dire qu’ils se fondent parfaitement dans le décor qu’offre la campagne, celle qui suit les ruisseaux de Barthos et de Chantemerle, et qui s’enfonce dans la Grande Lande.
Au hasard, on abandonne le bitume pour s’enfoncer dans la forêt, et dans le sable. Et de chaque côté du sentier, les pins maritimes filent vers le ciel, dans un alignement parfait – quoique parfois leur tronc semble se déhancher sur une mélodie absente. Effectivement, la forêt des Landes de Gascogne est la plus grande forêt artificielle d’Europe occidentale, s’étalant en Nouvelle-Aquitaine sur plus d’un million d’hectares. Elle est pour ainsi dire née –disons qu’elle a grandi- durant la seconde moitié du XIXe siècle, suite à l’assèchement des marais, effectué par les maires des communes qu’aura convaincus Chambrelent, et appuyé par Napoléon III. Aujourd’hui, la Nouvelle-Aquitaine est la première région forestière d’Europe, et le secteur représente un pôle majeur économique (sylviculture, abattage, débardage, bûcheronnage, construction, commerce) mais aussi environnemental. Sa gestion permettrait la juxtaposition de différents milieux, donc le maintien d’une diversité des essences et des espèces associées. Quoi de mieux que d’aller y faire un tour afin de répertorier les cent vingt espèces d’araignées qui y séjournent ?
Le moulin de Musset se tient comme il peut encore, hors de l’eau, et il semble que le poids d’un pigeon supplémentaire, parmi la famille qui orne déjà les toits, suffirait à le faire sombrer. Il n’est plus habité que par les oies, ici, avançant deux par deux, les vaches et les veaux. Peut-être la souris des champs, mais pas celle de la ville, compte tenu du décor.
Le moulin de Monges, plus loin, a été intégré dans la propriété d’un gîte, à la vue duquel le promeneur ne pourra se résoudre à continuer sans s’être au préalable laissé aller à la contemplation. Un hameau confortable, peuplé d’arbres centenaires, propre et rafraîchi par une rivière. Ça donne diablement envie de s’y attarder une nuit ou deux, ne serait-ce que pour profiter du silence et de la lumière horizontale qui caresse les collines.
Les domaines viticoles de la commune de Jugazan
À cinquante kilomètres au nord de Marions, on trouve la commune de Jugazan. Ici, la forêt laisse place à la vigne. Quand on profite du moindre détail du quotidien pour rendre justice à la beauté de ce qui nous entoure, on pensera forcément à s’organiser pour que la fin d’une journée ensoleillée corresponde aux dernières heures d’une randonnée initiée dans les domaines viticoles. Ainsi, la douceur de cette lumière basse, dorée, typique de l’automne, invite même les animaux des forêts à venir emprunter les chemins pédestres, sans grande prudence. Faisans, biches et ragondins se laissent surprendre et disparaissent seulement à hauteur de nos yeux. Et même au sein des palombières que l’on croise dans le sous-bois. Ce sont des postes d’affût destinés au tir ou à la capture des palombes (à éviter donc de la mi-octobre à la mi-novembre). Tout à coup une communauté entière d’oiseaux hurlent au loin. En s’approchant, on aperçoit qu’ils sont perchés sur les câbles d’un pylône électrique, au-dessus d’un immense tas de fumier de raisins, qui embaume l’air d’un fort parfum de vigne sucrée. Peut-être sont-ils tous submergés par les effluves et se sentent le cœur à la fête ?
Tout au bout d’un chemin encadré par la haie d’un côté et la vigne de l’autre, sous les chênes, nous attendait sagement, depuis le Néolithique, le dolmen de Curton. La trace d’un passé si lointain qui nous trouve aujourd’hui, profitant d’une énième fin de saison, ça a quelque chose de beau et de tragique à la fois. Il est écrit sur le panneau que certaines parties de la pierre sont ornées de signes et de dessins dont la signification nous échappe encore.
La promenade s’achève près de l’église romane Saint-Martin, dont le clou du spectacle réside dans les sculptures qui ornent son portail sur la façade occidentale. Pensez donc : femme aux jambes écartées, poissons et musiciens, que des symboles de péchés qui ne semblent pas avoir leur place ici !
On agrippe un fruit au passage qui perlait sous les branches d’un figuier, en traversant un dernier pré. Je ne sais pas si pour vous tout a commencé par des promenades dominicales, mais pour moi c’est indéniablement ces chemins de campagne proche de chez moi qui ont fait naître ma passion des randonnées et des horizons lointains.
Article rédigé par Julie Naud
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