Dans le nord du Québec, il existe un train de passagers qui relie la dernière grande ville de la Côte-Nord aux petites localités et camps miniers situés dans les régions septentrionales. En 12 heures, il parcourt les 568 kilomètres qui séparent Sept-Îles de Schefferville. Un lien vital pour les habitants du 55e parallèle qui n’ont pas les moyens de prendre l’avion, dix fois plus cher. Là-bas, on surnomme ce train l’Express, malgré sa vitesse moyenne de 80 km/h. Embarquez à bord de Tshiuetin : le « Vent du Nord ».

Nous sommes une cinquantaine de passagers ce matin-là au départ de Sept-Îles. Il est 7h lorsque la lourde machinerie se met en branle pour mouvoir les 40 000 tonnes d’acier du monstre. À l’intérieur, Jérôme-André, le Chef de service, compte les passagers assoupis, éparpillés dans les différentes voitures. « Comptage terminé, c’est parti » lance-t-il par radio au mécanicien installé à l’avant de la locomotive. Dehors, il fait – 23° Celsius et le soleil se lève.

« Tshiuetin n’est pas un train de banlieue. Il traverse des territoires qui ne sont normalement pas faits pour les hommes. Si on te débarque quelque part, on est pas sûr de te retrouver le lendemain… », explique M.Vollant, le Directeur opérationnel de la compagnie 

Sur une carte, le parcours est une quasi ligne droite vers le nord. Dans les faits, la voie serpente à flanc de montagne le long de la rivière Moisie, puis entre des marécages, des lacs… Elle traverse aussi un barrage. Autour ? Du blanc et des sapins enneigés à perte de vue…

Cette voie a été construite pour permettre l’exploitation de mines de fer dans le Grand Nord, et le passage de trains de marchandises. Mais lorsque les mines autour de Schefferville se sont taries, les habitants, pour la majorité autochtones se sont retrouvés totalement isolés. En 2005, trois Premières Nations se sont associées pour reprendre et gérer la ligne, reconvertie pour le transport de passagers.

Tommy est innu. Il travaille à bord depuis 9 ans, ce qui ne l’empêche pas d’être émerveillé à chaque voyage : «On croise parfois des ours, des orignaux. J’ai vu des sapins grandir…»

Mais ce qui l’amuse par dessus-tout, c’est d’inventer des histoires : « L’été dernier, j’ai fait croire à une vieille dame que j’avais été strip-teaser à Montréal dans ma jeunesse pour payer mes études. À un autre, je lui ai dit qu’on pouvait apercevoir des troupeaux de bisons par la fenêtre… »

Arrêt du train au milieu de nulle part…

Le long des rails, pas de bison c’est sûr, mais pas de gares non plus. Le train s’arrête à la demande, selon les besoins des passagers. Le premier stop arrive d’ailleurs bientôt. Par radio, Jérôme-André prévient le mécanicien dans la loco : «On va s’arrêter au millage 51 pour déposer trois passagers et leur matériel».

Loïck habite la ville de Québec. Lui et ses deux amis sont passionnés d’escalade sur cascade de glace. Il se trouve qu’un des plus beaux spots de la région, surnommé le Mur 51 en référence à l’arrêt de train, se trouve à une vingtaine de minutes de marche des voies.

Ils vont passer une semaine en bivouac dans la neige. Ils n’ont pas d’autre choix. Le train n’effectue qu’un aller-retour par semaine…
«Les sportifs ou les amateurs de tourisme d’aventure sont une petite partie de notre clientèle, explique Jérôme-André. Notre rôle est de les amener en toute sécurité où ils veulent. Après, à eux de se débrouiller, ça ne nous regarde plus. Le reste du temps, ce sont quand même les autochtones nos clients les plus récurrents.»

Pour ceux qui habitent ces régions, en majorité des Innus, le train est un lien indispensable. Elias est né et travaille au terminus, à Schefferville, dans une petite compagnie de transport. Il a trois enfants, de trois mères différentes. Il a pris le train avec l’un deux pour se rendre chez le médecin. «En avion, le même trajet me reviendrait à 1700 dollars, soit 12 fois plus cher, je n’en ai pas les moyens. C’est sûr que le trajet prend plus de temps, mais vu la différence de prix, ça vaut le coup de patienter». Pour lui, c’est aussi l’occasion de faire un gros ravitaillement dans les centres commerciaux de Sept-Îles sachat qu’à Schefferville, tout coûte 5 fois plus cher.

Ces deux menuisiers vont rejoindre leur chantier, raquettes au pied

Parmi les autres passagers : trois cuisiniers qui arrivent en renfort dans une mine de fer située près du millage 154, deux menuisiers qui vont inspecter un chalet au millage 184, ou encore une famille innue qui va passer trois semaines dans leur camp de chasse, à quelques pas de raquette de la voie. À chaque fois, c’est le même rituel : la lourde machine ralentie, puis s’immobilise le temps de débarquer. Enfin lentement, elle accélère jusqu’à atteindre 80 kilomètres à l’heure, sa vitesse de croisière.

«Plus il y a d’arrêts, plus c’est longLe temps moyen pour arriver jusqu’au terminus, c’est 12 heures. Parfois, on met 16 ou 17 heures. Les passagers sont au courant. Ils s’occupent comme ils peuvent». Jérôme-André, chef de Service.

Il serait dangereux d’aller plus vite. Les conditions météorologiques demandent beaucoup de prudence. L’hiver, le froid extrême fragilise les matériaux. Le reste du temps, le gel et le dégel déforment les voies et provoquent des éboulements. Ils seront responsables du déraillement d’un train de marchandise et de la mort de son conducteur en 2014.

Le soleil se couche vers 16h30. Une fine couche de neige recouvre les rails. Le train glisse avec ce bruit très caractéristique de neige compressée, un peu comme quand on déchire des boules de coton. Les étoiles brillent dans ce ciel noir, sans lune pour l’instant. Au loin, dans les couches supérieures du ciel, d’étranges voiles vertes ondulent. C’est une aurore boréale. Si elles sont plus rares au mois de janvier, elles sont légions pour ceux qui prennent le train vers le mois de septembre. Quel spectacle !

Celle-ci sera de courte durée. La Lune se lève et son éclat masque petit à petit les étoiles et toutes autres étrangetés potentielles qui viendraient de l’espace ou d’ailleurs. Un peu plus tard, ce sont les lueurs de Schefferville qui font concurrence avec celles de la Lune. Il est 18h45, l’arrivée est prévue dans 30 minutes. «On a bien roulé aujourd’hui, conclut le chef de service dans un soupir de satisfaction. Rendez-vous demain 8h !»
Lui et son équipe vont pouvoir se reposer dans une maison louée par la compagnie de train, à Schefferville.

Au retour, chose rare, le train est bondé. La ville de Sept-Îles organise un tournoi de hockey junior. Toutes les équipes de la régions sont invitées. Aucun arrêt n’est prévu. Ah oui, finalement il y en a un. Les trois escaladeurs ont oublié un casque au moment de débarquer.

« On va leur déposer sur la route, lance Jérôme-André.
– Vraiment ? Vous arrêtez tout le train pour un casque ?
– Eh oui, ça c’est du service ! »

Tshiuetin en chiffres :

Création : 2005
Nombre d’employés : 100
Nombre de passagers annuels : 15 000
Capacité : 350 places assises
Voyage avec le moins de passager : 1
Horaires :
Départ tous les mercredi matin à 7h de Sept-Îles, arrivée à 19h minimum à Schefferville
Départ les jeudis matin 8h de Schefferville, arrivée 20h minimum à Sept-Îles
Prix : 140 dollars l’aller-retour

https://www.tshiuetin.net/

Article rédigé par Alexis Sarini

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