« Non mais attends, faut pas déconner non plus, tu rentres d’un super voyage, t’as rien foutu pendant neufs mois et tout ce que tu trouves à faire, c’est tourner en rond ? » Voilà ce que j’ai pu entendre lors de mon retour d’Australie. Voilà pourquoi, aujourd’hui, j’ai décidé de vous emmener revivre ce mal ignoré, encore trop peu connu : le mal du retour de voyage.
…LES DERNIERS MOMENTS…
Pour ceux qui ont suivi mes aventures australiennes, vous savez que j’ai passé neufs mois de ma vie à vivre aux sons des battements de ce pays, sous son soleil perçant, face à ses paysages saillants, entourée d’une faune et d’une flore imprévisibles. Partie avec cette rage intérieure de découvrir tout cela, mon retour n’était pas spécialement planifié. Je suis partie en septembre, je prévoyais de rentrer au plus tard en France pour l’été suivant. Seulement, une fois sur place, une expérience inattendue m’attendait. Je me trouvais à l’autre bout du monde, de l’autre côté de la planète, loin de tout, de tout le monde. À l’heure d’aujourd’hui, je ne sais pas si cela était de l’ordre de l’éloignement géographique ou s’il s’agissait d’un effet pervers d’avoir finalement la tête à l’envers, mais je me sentais libre, totalement libre, absolument libre. J’étais loin devant eux, ces codes bien français qui m’étouffaient et que je laissais loin derrière.
Passer neufs mois dans un autre environnement, des plus paradisiaques, te donne le temps de créer ta bulle, te laisse le temps de te laisser aller. Et, c’est ce qu’il se passa. Je dois bien avouer que beaucoup de critères étaient réunis pour que ce séjour se passe à merveille, des amis proches, un bout de famille, un décor de rêve, une nouvelle vie prenait forme…
Les sentiments ressentis peuvent être étrangement développés, voire décuplés et même difficiles à gérer. Cela ne m’empêcha pas de garder la tête un minimum sur les épaules tout en frôlant quelques limites afin d’augmenter le taux d’adrénaline. Cela ne m’empêcha pas non plus de vivre mon expérience à fond, de rencontrer de belles personnes, de faire des choses impossibles ailleurs, de tomber amoureuse… Puis, un jour, un tic-tac vint déranger mes oreilles. Le compte à rebours avait commencé, celui du retour. Alors, imaginez-vous juste un instant à ma place, rattrapée par le temps, terrorisée par la vitesse des jours qui passent. Je savais au fond de moi que ce que je vivais était unique.
Impossible de tout quitter. Impossible de tout abandonner. Pas maintenant. Pas comme cela. Pas aussi simplement. À partir de ce moment, j’ai tout donné pour rester, en vain. Et j’ai réalisé que je devais faire, non pas mes au revoir, mais mes adieux. Malgré toutes ces émotions brutales qui se mélangeaient au fond de moi, je devais garder mon calme afin de profiter des dernières minutes qui m’étaient permises.
…ENTRE TRANSITION ET PARADOXE…
Déboussolée par ce que je ressentais, je me souviens avoir eu du mal à savoir comment m’y prendre. J’étais encore là-bas, mais malgré tout, une partie de ma tête avait passé la frontière. Dernier lundi, dernier repas entre amis, dernière soirée au clair de lune, derniers pas dans mon endroit préféré, dernier souvenir et dernière nuit avec lui. Les odeurs, les gens, les habitudes, les souvenirs, le mode de vie, tout cela me sautait aux yeux, comme au 1er jour, sauf que la nostalgie rendait cela un poil dramatique. Rien de tel pour vous briser le cœur en mille morceaux. Reviendrai-je ? Les reverrai-je ? L’oublierai-je ? Que restera-t-il de mon bout de vie ici ? Et la pire question qu’il soit, est-ce que je veux vraiment partir ? Seulement, mon choix devait être fait vite car vivre dans des eaux troubles me rendait folle. Un choix de raison fut donc, je validais mon billet, je retournerais en France.
Mais, comme les choses simples restent assez rares lors de mes aventures, une autre question se posa, encore plus terrible, est-ce que je veux réellement rentrer ? Je ne vous cache pas que cette question fut accompagnée de son lot de culpabilité et de honte. J’avais quitté des personnes chères à mon cœur, une famille, des gens qui comptaient sur moi, une certaine situation, tout cela pour aller explorer une partie du globe qui me narguait depuis bien trop longtemps. Dès lors, je commençais à ressentir ces sentiments mis sous scellés lors de mon départ afin de m’éviter trop de souffrance, trop de manque. Mais, après tout, ces belles âmes sont ma vie, elles sont dans mon cœur, elles font partie de moi, elles seront toujours là, non ? Fragilisée, la réponse à cette question fut rapidement évidente, mon état me le confirmait.
Malgré tout cela, malgré mes affirmations, le soir, ma tête se transformait en balle de tennis jouant un match à Roland Garros. « Je veux rester, je veux rentrer, je veux rester, je veux rentrer, je veux rester, je veux rentrer... » Mon ascenseur émotionnel était à son maximum, j’avais atteint le paradoxe !
…LE RETOUR…
« Ne te retourne pas, ne te retourne pas, ne te retourne pas« . Voilà ce que je me répétais pour éviter toutes sortes de folies dont j’aurais pu être capable pour m’encourager à monter dans cet avion. Mon cœur était serré, malgré tous les efforts que j’avais faits pour maintenir ma décision, malgré tous les messages de mes proches qui m’attendaient, j’avais mal. Ce mal, il était dur à expliquer, il était hors raison et je savais que, sur ce coup, j’étais et je resterais seule face à lui. Pourtant, une fois installée à mon siège, côté hublot, je regardais dehors et mes larmes étaient bel et bien réelles. Je prenais conscience que je venais de mettre un point final à une chose unique à ma vie. Qu’il était tout à fait possible que je ne revienne plus… jamais.
Quel moment heureux que de me retrouver parmi les miens. Les yeux gonflés ? Je mis cela sur le dos de la fatigue. Je ne veux pas qu’ils comprennent que j’ai pleuré. Je ne veux pas qu’ils aient l’impression que je suis triste de rentrer parce que ce ne serait pas vrai. Mais, je sais aussi que la vérité risque de ne pas être facile à comprendre pour eux, déjà qu’elle ne l’est pas pour moi. Je ne suis pas en état de m’embarquer dans des explications de ce genre, pas là, pas maintenant. Mais, au fond de moi, j’ai le cœur coupé en deux. Et, je comprends qu’il sera coupé en autant de morceaux que de voyages vécus. Parce qu’ils sont tous uniques, et parce qu’ils auront tous une fin… Alors, je fais bonne figure. Les gens sont heureux de me revoir, moi aussi et cela va m’aider à surmonter ce moment douloureux. Mais, je ne m’attendais pas à me sentir étouffée et seule. J’avais pris l’habitude d’être indépendante ou du moins, moins entourée. Là aussi, je me tairai parce que je ne veux pas blesser. Puis, je vais me lancer dans des récits, je vais montrer des photos de moments clés, « Alors, là, j’ai vu une tortue de mer« , « Là, c’est Uluru, un endroit sacré pour les aborigènes« , « Oh et là, j’ai tenu un koala » et là, ce sera une douche froide. Ces informations les intéressent, mais leur concentration est limitée. Et, je me rends compte que je leur en demande beaucoup, leur exposer mes dernières extravagances me fait me sentir égoïste. Alors, je deviens discrète, me renfermant encore plus avec mon mal… Le temps passant, les gens revinrent à leurs occupations, ne me plaçant plus au centre de leur attention. Et c’est là, principalement à ce moment, que j’ai commencé à comprendre que j’étais rentrée, bel et bien rentrée.
Là, un autre voyage s’ouvrit à moi, celui de ne pas sombrer, de ne pas me faire avoir par la mélancolie, la nostalgie et le manque de liberté. Le temps du deuil sonna.
…ET LA VIE CONTINUE…
Alors, voilà, je n’avais prévu que le strict minimum pour ce voyage, le plus long jamais vécu. Avoir le bon état d’esprit, le bon matériel, la bonne assurance… Mais, malheureusement, ce n’est pas tout. Les émotions sont très importantes et je les ai sous-estimées. Évidemment, tout cela est très personnel. Et sans surprises, je me suis faite avoir, je me suis laissée aller, j’ai succombé. Je me suis perdue, noyée, je me suis étouffée toute seule. J’ai perdu pied. J’ai vécu quelque temps au rythme des flashbacks, des Skypes, des WhatsApps. Je n’étais ni ici, ni là-bas. J’étais oubliée dans cette zone de transition et je suffoquais, seule. Je devais me battre avec moi-même afin de me convaincre que ces derniers mois avaient bel et bien existé. Je m’endormais en regardant les photos, encore et encore, afin de me convaincre que j’avais bien mis les pieds en Australie. Puis, le décalage horaire et le quotidien eurent raison de mes correspondances et je peux affirmer aujourd’hui que c’était pour mon bien. Je devais prendre mon mal en patience pour comprendre pourquoi je me retrouvais à nouveau entourée de tous ces gens, de ces codes que j’avais laissés neufs mois plus tôt. Je ne savais plus où j’habitais, j’étais de retour au point de départ, mais j’avais grandi et j’étais riche d’une expérience extraordinairement extraordinaire. Voilà sur quoi je devais me concentrer. Je ne devais pas voir cela comme un retour à zéro, comme un échec ou je ne sais quoi. Je devais mettre à profit cette expérience, je devais lui rendre hommage, je devais en être fière et cela me semblait un beau moyen pour ne pas l’oublier. Je devais l’intégrer à ma vie afin de la faire vivre, encore et pour toujours.
Ce qui ne m’aida pas en revanche fut le fait que je ne pouvais en parler. Personne autour de moi n’avait vécu pareille chose et je commençais à me sentir un peu folle, plus que d’habitude. Certes, ce n’était pas la première fois que je me trouvais perturbée d’une fin de voyage, mais à ce point-là, jamais. C’est alors que j’entrepris des recherches. Et comme quand on cherche, on trouve forcément quelque chose, je fus soulagée de lire les récits de personnes qui, comme moi, placent le voyage au centre de leur vie. Je compris que, malgré le fait que nous sommes de plus en plus à voyager, très peu communiquent sur l’après, sur le retour. Pourtant, cette étape faisant partie intégrante de l’aventure est à ne pas négliger. Bien au contraire. Si cette dernière est sous-estimée par la personne concernée ou par les proches, cela peut avoir une incidence majeure sur l’équilibre et la réinsertion. Ce mal n’est pas assez connu à mon goût. Pourtant, dans certains cas, il peut égaler la douleur d’une séparation ou même d’un deuil ou de toutes autres étapes cruciales amenant à un flot d’émotions aussi fort que difficile à accepter. Un besoin de repères se fera sentir, mais pour sûr, une bonne compréhension de l’entourage mêlée à beaucoup d’écoute et d’amour peut soulager en attendant que le temps passe, que la magie opère.
Alors, oui, j’ai tourné en rond en rentrant, mais j’espère que ces quelques mots, s’ils ne vous sont pas familiers, vous feront voir les choses sous un angle différent et qu’ils vous amèneront vers une empathie, aussi douce que discrète…
Sans méprise aucune, un voyage sans émotion est un voyage bourré d’illusions…
Article rédigé par Marie Basquin
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Hello,
C’est exactement ce qu’il se passe pour moi malgré un voyage assez court de 3 mois…. Ca fait 3 semaines que je suis rentrée.
Du coup un an après, tu as retrouvé un équilibre, tu as réussi à oublier un peu les gens? Ta vie là bas?
Est ce que tu es repartie? 😉