“The world’s big and I want to have a good look at it before it gets dark” -John Muir
Que voulais bien dire John Muir il y a plus d’un siècle en prononçant ces quelques mots ? Une chose est sûre, il était en avance sur son temps. Déjà à la fin du XIXe siècle, il voyait déjà un monde dans la tourmente. Peut-être anticipait-il les désordres liés à l’exploitation de nos ressources et au trop grand développement de l’industrie. Ces quelques mots nous font douter, prendre conscience ou pire, perdre espoir. Comment envisager le voyage et le tourisme désormais ? Une chose est sûre : cette phrase emprunte d’un réalisme alarmant sonne l’ultime invitation au voyage, avant que la beauté de notre monde ne vienne à disparaître.
Voyager avant que le monde ne change de face ?
Quel difficile dilemme. Voyager, c’est réaliser un rêve d’évasion. C’est vouloir visiter des endroits uniques au monde pour se dépayser et vivre des moments inoubliables. Autrefois réservé aux élites, le voyage est devenu, avec la mondialisation, de plus en plus accessible. Pourtant aujourd’hui, beaucoup d’endroits sont menacés. Menacés par le tourisme de masse, les conflits, la montée du niveau de la mer, les catastrophes naturelles, les trop grandes constructions qui détruisent des écosystèmes… La liste n’étant pas exhaustive, il convient plus que jamais être sensibilisé à ces problématiques. Du moins, un vrai voyageur le devrait, pour voyager de façon responsable.
Heureux qui comme Ulysse nous avons eu l’occasion de visiter des pays, de connaître des cultures, de contempler la beauté du monde. Mais celle-ci serait-elle devenue éphémère ? On serait tenté de répondre par un hochement de tête positif. Nomades que nous sommes, notre génération est celle qui connaît une expansion du tourisme que le monde n’avait jamais connue jusqu’alors. Mais nous sommes aussi la génération qui va devoir faire face aux déboires environnementaux et sociaux auxquels notre planète est et continuera d’être confrontée. Pourquoi ? Car le monde semblerait-il, par des logiques purement anthropiques, a mué vers une marchandisation de tout ce que l’on fait et de tout ce que l’on voit.
Le monde a-t-il une valeur marchande ?
La beauté du monde est-elle condamnée avec la hausse du tourisme et, a fortiori, la marchandisation du voyage ? Probablement. La beauté du monde est celle que l’on retrouve dans des paysages qui nous laissent songeurs, qui nous transportent. Cette beauté est celle ancrée dans le cœur des voyageurs que nous sommes. Elle est aimée, contemplée, rêvée. Celle-ci n’a pas de valeur, du moins, ne devrait pas en avoir. Pourtant, l’avènement du tourisme de masse a changé la donne. Le voyage, initialement fait pour la découverte et l’aventure s’est transformé en « tours » et tout-inclus qui vendent du dépaysement de surface.
Ce monde, qui était si beau, si inspirant, si diversifié serait-il voué à devenir une chose monnayable? Si certains endroits, encore épargnés du tourisme de masse, valent le détour, c’est lorsqu’on trouve sur internet des listes telles que les « 10 endroits à voir absolument », œuvre littéraire de contenus sponsorisés, qu’il convient de s’interroger. Outre le caractère très commercial de ce genre d’article, il semble difficile de concevoir de tels propos sans parler des conséquences d’un tourisme trop accru dans certaines fragiles zones du monde… Des populations vivant dans ce genre d’endroits, parfois surfréquentés, risquent gros et sont conscientes que le tourisme a sa part de responsabilité. Son rapide développement est, en effet, allé trop vite. S’il a permis à de nombreuses familles de trouver un emploi et de se nourrir, il n’a pas permis de lutter avec certitude contre les inégalités et la pauvreté.
Voyager responsablement, la clé de la préservation du monde ?
Voyager et voir la beauté du monde, serait-ce s’évader loin des sentiers battus ? C’est aller à rebours des « must see » qui vont au détriment de la population et de l’environnement. Préserver l’âme même du voyage, c’est s’éloigner au maximum de la valeur marchande que celle-ci génère, du moins ne pas se tourner vers des compagnies peu scrupuleuses et peu enclines à se soucier des conséquences aussi néfastes soient-elles.
Le tourisme ne crée pas que de la richesse. Chaque nomade averti doit le voir et être en mesure de comprendre. Le tourisme de masse a tout détruit : les paysages, les villes, les cultures et, enfin, le dessein même d’aventure et d’évasion si chère à John Muir. Il n’y a plus d’authenticité. Tout est calculé. De l’arrivée du touriste à son départ. Les voyagistes, dans une logique purement lucrative, n’œuvrent pas dans le sens de l’authenticité. On pousse le voyage dans certaines destinations géographiquement et environnementalement instables par pure logique consumériste. Nous devons combattre ça.
Alors que faire ? Profiter de cette insouciance éphémère avant qu’il ne soit trop tard. Il ne faut pas être défaitiste. Seulement réaliste. Le voyage est un merveilleux cadeau, il nous fait cueillir le jour, il est plein de promesses et nous permet d’apprendre le monde. C’est la chance de voir pousser une fleur à l’aube du printemps. Pour en faire un fruit, nous devons être conscient plus que jamais de l’importance de nos choix, y compris dans notre mode de voyagement. Demain, si nous n’agissons pas en bonne et due forme, le voyage sera un rêve bien vite égaré, remplacé par un cauchemar. Et si nous, occidentaux que nous sommes, pouvons en partie être épargnés par ces problèmes, n’oublions pas que des pays plus vulnérables ne pourront pas en sortir indemnes, ne pourront plus en sortir indemnes.
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