J’aimerais vous raconter une histoire. Ce n’est pas la mienne et je ne vais pas me l’approprier non plus, mais j’y suis quand même intimement liée, sauf que moi j’arrive seulement à la fin de l’histoire pour pouvoir vous la raconter, comme tout bon narrateur d’ailleurs.

Elle ne commence pas par il était une fois et elle ne se passe pas dans une contrée fort fort lointaine. Il n’est pas question de princesses ni de leçon de vie extraordinaire. Ça ne parle pas de voyage, du moins pas directement. Ce n’est pas un récit de voyage je veux dire, mais ça vaut quand même la peine de continuer à lire.

C’est l’histoire d’un petit bonhomme, un bonhomme en bois, tout ce qu’il y a de plus banal. On dit souvent que la vie est faite de détails, mais qu’un seul détail peut changer une vie. Dans cette histoire, le détail qui a changé la vie de plusieurs personnes est haut de 3 cm. Il n’a pas de nom, du moins pas que je sache.

J’ai eu l’occasion de faire sa connaissance plusieurs fois, au cours de différents voyages. Il est devenu mon fidèle compagnon lorsque je parcours les milliers de kilomètres qui se trouvent entre deux destinations.

J’ai fait sa connaissance lors de mon premier voyage solo. J’avais emprunté le backpack d’une amie pour être certaine que j’aimais ce type de voyage avant de me lancer dans une dépense que je n’utiliserais qu’une seule fois. Sur son backpack, il y avait le petit bonhomme. Elle avait été très claire : je pouvais perdre le sac à dos, je pouvais le ramener déchiré ou en lambeaux, mais si je perdais le petit bonhomme, j’étais morte! À cette époque je ne comprenais pas l’attachement qu’elle avait envers cet objet, mais je savais qu’elle y accordait une grande importance.

Il m’a suivi à chacun de mes pas entre les aéroports, les stations de bus et dans les taxis. Des malchances, j’en ai connues. Sauf que je m’en suis toujours bien tirée. Et je suis revenue, aussi facilement que je suis partie. Je lui ai redonné le sac à dos, avec le petit bonhomme bien entendu, et je ne lui ai plus accordé d’importance.

Un an plus tard, j’ai pris la décision de repartir. Repartir plus loin, repartir plus longtemps. Dans des endroits plus ou moins connus et plus ou moins fréquentables dans certains cas. Quand je suis partie, cette même amie m’a fait un cadeau. Vous avez deviné, elle m’a donné le petit bonhomme.

Vu l’attachement qu’elle avait pour ce petit bonhomme, ce geste m’a énormément touchée. Je lui ai alors demandé pourquoi elle accordait tant d’importance à cet objet. Elle m’a raconté son histoire.

Lorsqu’elle était jeune, elle n’était pas ce qu’on peut qualifier d’une enfant facile à vivre. Elle a enchaîné les overdoses de drogues, les séjours dans les urgences, les relations interpersonnelles que l’on peut mettre dans la case ‘‘mauvaises fréquentations’’. Un jour elle en a eu marre de tout ça, de cette vie. Elle a fait exactement comme le font tous les jeunes d’aujourd’hui : elle a fait son sac à dos et est partie sur le pouce en direction de BC.

Elle a ramassé des champignons, des cerises ; elle a enchaîné les petits boulots comme ceux-là pendant 3 ans. Elle a eu des prises de conscience comme en ont tous les voyageurs lorsqu’ils partent à la conquête du monde. Elle a fait des rencontres, dont celle du petit bonhomme. Il était le fidèle compagnon de quelqu’un d’autre à l’époque, d’un gars qui avait les mêmes ambitions qu’elle. Le petit bonhomme tenait compagnie à des clés de Westfalia dans des poches de jeans remplies de rêves et d’espoir.

Ils sont devenus amis tous les deux et puis est venu le temps où elle a cru qu’elle était prête à retourner chez elle, qu’elle avait réussi à changer, que 3 ans loin de ce monde-là étaient suffisants pour avoir chassé les mauvaises habitudes et surtout les mauvais esprits. Elle avait peur, peur du retour comme bien des voyageurs. C’est à ce moment-là qu’il lui a donné les clés et le petit bonhomme en lui disant de retourner chez elle, que le petit bonhomme la protègerait et que, si d’ici un an elle n’aimait pas la vie qu’elle menait, qu’il l’attendrait à l’endroit où il se sont quittés.

Elle a refait son sac à dos et elle a repris la route. Les jours ont passé, les mois aussi. Elle commençait à revoir des fréquentations qu’elle avait tout fait pour sortir de sa vie. 3 ans c’est long! 3 ans c’est 1095 jours ; 3 ans c’est 26 280 heures ; 3 ans c’est 1 576 800 minutes. Le temps est quelque chose de relatif parce que ces 3 années loin de tout ça n’ont pas suffi. Alors elle a refait son sac 6 mois plus tard et elle est repartie.

Ils se sont retrouvés tous les deux. Comme dans le temps, toujours prêts à veiller l’un sur l’autre. Puis il est venu temps pour lui de partir, tout comme elle l’avait fait. Leurs chemins se sont séparés, mais pas comme un adieu, plutôt comme un au revoir.

Elle a continué de vivre sa vie, de ramasser des champignons et de penser à lui chaque fois qu’elle sortait le petit bonhomme de ses poches en espérant que, contrairement à elle, il était vraiment prêt à affronter son ancienne vie.

Un matin, elle a eu de ses nouvelles : elle a appris qu’il était décédé. Elle s’en est voulu longtemps d’avoir gardé le petit bonhomme parce qu’elle se disait que, si elle n’avait pas eu peur, il n’aurait pas eu besoin de le lui donner, que s’il l’avait gardé, rien de tout ça ne serait arrivé, il serait encore vivant…

Les années ont passé, sa témérité aussi. Elle a changé de vie, elle est devenue plus sage sans pour autant perdre ses cornes. Le temps a passé, beaucoup de temps. Et il y a eu moi, moi qui avait cette témérité qu’elle avait eue jadis, moi qui avait cette envie d’aventure et cette soif d’adrénaline, moi en qui elle se reconnaissait.

Elle y a pensé longtemps avant de me donner le petit bonhomme. Elle se demandait si elle était prête à faire ce deuil-là, si elle était prête à se séparer de tout ce qui lui restait de lui dans l’espoir que le petit bonhomme me protège dans mes péripéties tout comme il les avait protégés eux aussi.

Après m’avoir raconté son histoire, elle m’a fait promettre de le garder avec moi, de l’accrocher sur mon sac à dos et de toujours l’avoir sur moi. Elle m’a aussi fait promettre qu’un jour, alors que j’allais croiser quelqu’un qui aurait plus besoin du petit bonhomme que moi, je le donnerais à mon tour pour que cette personne soit en sécurité, que je devrais faire comme lui l’avait fait avec elle et comme elle le faisait avec moi.

Alors, si un jour vous croisez ma route dans une auberge de jeunesse ou à l’aéroport, rappelez-vous que nous sommes entre bonnes mains, le petit bonhomme nous protège. Et si vous pensez que vous avez plus besoin du petit bonhomme que moi, racontez-moi votre histoire et laissez-moi en juger. Peut-être qu’il délaissera mon sac à dos pour s’accrocher au vôtre et deviendra votre fidèle compagnon comme il a été le mien et celui de personnes qui m’ont précédée.

Vous avez raison, je suis peut-être un peu naïve de croire qu’un simple bonhomme en bois peut attirer la chance ou la gentillesse et faire en sorte que je sorte indemne d’une situation problématique, mais si vous ne croyez pas en ça, en quoi croyez-vous?

Article rédigé par Élodie Beauvais

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