Vivre sur une île. C’est le rêve de beaucoup de personnes. Les habitants des grandes villes (trop) habitués aux bruits incessants et à tous ces bâtiments de pierre, les amoureux de la nature, les nordistes vivant dans le froid ou la pluie une (trop) grande partie de l’année et même parfois ceux qui voudraient juste changer de vie et d’horizon. Pouvoir tout quitter et vivre en short et en t-shirt toute l’année, les doigts de pied dans ce sable doré. Avoir la possibilité de plonger dans le lagon en quittant le travail à 17 heures et profiter d’un beau coucher de soleil. Ou de se faire des barbecues de janvier à décembre, comme on l’entend.
De l’autre côté, néanmoins, pour les îliens vivant au quotidien sur un morceau de terre entouré d’océan, le point de vue n’est plus exactement le même. À tel point qu’on en arrive tristement à oublier que nous vivons dans un cadre magnifique et que nous sommes très chanceux, malgré tout, d’avoir ce statut d’îlien, de Réunionnais. Je fais partie de ce deuxième groupe et je vais vous montrer pourquoi, selon moi, résider sur île ce n’est pas le paradis sur terre tous les jours, mais que cela peut faire l’effet de journées emprisonnées. Mais dans une prison particulièrement dorée.
Sur l’île de La Réunion, nous n’avons pas moins de 340 jours de soleil par an et six mois d’été, puis six mois d’hiver austral (ou pourrions-nous dire, « été moins chaud« ). Nous pouvons nous baigner dans des lagons à 27 degrés en plein été et nous nous accordons le luxe de ne pas y tremper un seul orteil en hiver austral, car voyez-vous, une eau à 22 degrés, c’est trop froid. Surtout quand la température extérieure n’avoisine que les 25 degrés. La vie y est douce. Nous nous levons de bonne heure et de bonne humeur, entourés de palmiers et de cocotiers.
Si un jour le lagon ne nous fait pas envie, qu’à cela ne tienne. Nous prendrons la direction des hauts de l’île pour nous rafraîchir auprès des montagnes. Se baigner dans les fraîches rivières sous des cascades plus belles les unes que les autres, ou entreprendre de plus ou moins longues randonnées nous dépaysant entièrement. Nous amènerons de quoi grignoter et profiterons de ce bol d’air frais jusqu’au moment de rentrer.
Les amoureux de la nature ne pourront que se sentir bien sur cette petite île. L’océan est riche et ses profondeurs vraiment envoûtantes. Nous avons un volcan qui, lorsqu’il entre en éruption, nous permet d’assister à un spectacle fabuleux. Nous avons trois cirques formés par le Piton des Neiges et habités depuis bien des années maintenant. L’accès aux cirques n’est pas de tout repos, mais croyez-moi sur parole lorsque je vous dis que, une fois arrivé, vous resterez bouche-bée devant la beauté des lieux. Avec de tels reliefs, nous n’avons que trop de randonnées à faire. Les pieds dans l’océan Indien et la tête dans les montagnes.
Si, à l’extérieur de La Réunion, les pays sont en guerre à cause de la différence des cultures, le métissage est le mot d’ordre chez nous. Toutes les cultures confondues se mélangent et se respectent. Car pour nous, c’est tout à fait normal d’avoir une mosquée en face d’une église catholique. Il est normal d’entendre la prière des musulmans plusieurs fois par jour à travers des haut-parleurs. Normal d’avoir certaines routes bloquées par des hindous en pleine cérémonie. Normal d’être athée et de se faire inviter au Nouvel An Chinois. Normal de se retrouver, tous ensemble et toutes cultures réunies, autour d’une table, à partager un dîner. Sans aucune tension, ni animosité. On se charrie parfois, mais ce n’est jamais méchamment. Nous avons cette chance-là.
Nos cultures font notre richesse, mais aussi tous nos fruits tropicaux dont nous profitons tout au long de l’année: ananas Victoria, bananes, litchis, en plus des différentes sortes de mangues, noix de coco et j’en passe.
Le paradis.
Là où cela se complique, c’est que derrière ce tableau se cache une toute autre réalité. D’une superficie de 2512km², le tour est très vite fait. Et si vous voulez connaître toute la vérité, sachez qu’en trois heures et trente minutes vous aurez fait un tour complet de l’île (sans aller dans les hauteurs, néanmoins).
Les routes sont correctes. Mais à cause du relief, il y a énormément de routes de montagne. Si vous n’avez pas de voiture, bon courage pour vous déplacer! Les transports en commun (soit dit: les bus) ne vous permettront pas d’aller partout sur l’île. Si votre travail n’est pas accessible à pied depuis votre domicile, laissez-moi vous dire que vous devrez impérativement avoir un véhicule pour y aller. Ou alors, ne pas avoir de travail reste une autre solution également. En supposant que vous ayez une voiture. C’est bien. Même très bien. Mais, ce n’est pas si simple! Le rapport kilométrique n’est déjà pas le même qu’ailleurs, car vous pouvez tout à fait passer une heure à ne faire que trente kilomètres. Les jours de pluie, ne soyez pas étonnés d’être coincés quelque part car la route n’est plus praticable pour cause d’éboulements, de radiers submergés, de chaussées emportées. Des villages entiers se retrouvent parfois même coupés du monde, ne pouvant plus faire passer aucune voiture sur la seule et unique route menant à la ville. L’été étant notre période la plus chaude, c’est aussi la période des fortes pluies. Et on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise, d’autant plus que, dès qu’il pleut un peu trop, nous avons l’impression que la vie s’arrête sur l’île.
Géographiquement, c’est la même histoire. Pour les natifs de La Réunion, au bout de quelques années, nous avons (presque) tout vu et (presque) tout fait. L’ennui se fait alors rapidement ressentir, en plus de cette sensation de réellement « tourner en rond ». Nous ne sommes pas les mieux placés en théâtre ou culture et, en termes d’infrastructures à proprement parlé, nous sommes plus que limités. Pour celles et ceux qui souhaiteraient se divertir les week-ends, vous pourrez toujours faire des sorties dans des boîtes de nuit ou bars, le cinéma, les restaurants, aller chez des amis. Et c’est pratiquement tout.
Vous voulez aller en vacances ? Oui, bonne idée! Mais là, pour avoir un réel changement et faire une vraie coupure, il vous faudra prendre l’avion, obligatoirement. Au mieux, vous irez pour quelques centaines d’euros sur l’île sœur, l’île Maurice. Au pire, vous allez dépenser beaucoup plus pour toute autre destination. Pour ceux qui n’ont pas de gros budgets vacances, vous aurez compris, ils seront bloqués sur l’île. Pour les autres, ce seront automatiquement des milliers d’euros consacrés aux vacances.
Même si cela tend de plus en plus vers le changement, il reste malheureusement encore beaucoup de retard à rattraper. Nous ne trouvons pas tout sur l’île, allant du simple produit aux plus grandes structures (non, Ikea n’existe pas. Non, Sephora non plus. Les grands centres commerciaux non plus. Zara ? Non.) Vous pensez alors vous faire livrer le fameux produit introuvable ? Les livraisons non effectuées dans les DOM-TOM sont devenues des normalités que nous avons fini par accepter. Mais surtout, le coût de la vie de façon générale est plus cher (outre les produits conçus et fabriqués sur le territoire). Entre 25 et 30% de plus, à cause de l’octroi de mer, la fameuse, l’unique, pratiquée sur la totalité des produits importés. Faites le test, allez en supermarché et rajoutez 30% sur le prix de tous les produits de votre caddie. Pour les familles nombreuses, la bonne météo n’arrive pas toujours à adoucir la note une fois arrivés en caisse. Car les salaires sur place, eux, ne sont pas augmentés de 30%. À quelques exceptions près, ce sont les mêmes que ceux pratiqués en France métropolitaine.
Pour les études ou l’emploi, très souvent, il faudra prendre la décision de se séparer de son île. Nous avons des universités et quelques écoles supérieures, mais pas dans toutes les filières. Une fois le baccalauréat en poche, pour les plus déterminés, il va falloir aller en métropole ou ailleurs pour pouvoir poursuivre. Il en est de même pour l’emploi. Certains diplômés sur l’île (ou simplement ceux à la recherche d’un nouveau challenge professionnel) auront énormément de mal à trouver du travail, le marché de l’emploi étant extrêmement saturé et les recruteurs de plus en plus exigeants en termes d’expérience.
Mais c’est peut-être là aussi une bonne chose à faire. S’éloigner un peu de son île, que l’on y soit originaire ou pas. Pour casser cette routine et arrêter de n’y voir que les aspects négatifs. Partir, quelques temps, ou plus longtemps, à la découverte de nouveaux espaces et nouveaux horizons. Voir ce qu’il se fait ailleurs. Se faire une expérience de vie supplémentaire et vivre des choses totalement nouvelles. S’enrichir de toutes ces nouveautés. Et revenir, plus apaisé. De nouveau prêt à porter fièrement les couleurs de La Réunion, à mesurer notre immense chance que nous n’échangerions pour rien au monde, et charrier les autres en leur racontant notre vie de rêve sur notre prison dorée.
Article rédigé par Erika Grondin
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merci pour ce post, il tombe a point nommé, ilien je pense partir bientot aussi, j’ai fait le tour , je ne vois plus bons cotés , la Réunion n’est plus ce qu’elle fut ..depuis disons 2008-2010 tout fout le camp , merci encore