Mon compagnon et moi venons de monter dans l’ultime voiture, celle qui fera les centaines de kilomètres qui nous ramènent « à la maison ». Pas vraiment la nôtre en fait, car cela fait 2 ans que nous l’avons quittée. C’est une drôle d’excitation où tout nous paraît étrange et surtout irréel : « nous rentrons ». Le chauffeur nous dépose au village à côté. Après des remerciements chaleureux, nous faisons le reste à pied tout en regardant autour de nous, effarés, on dirait un décor posé là. Nous marchons de plus en plus lentement, le poids du sac s’alourdissant à chaque pas, le temps s’arrête et la voilà, la fameuse porte que nous avons claquée en se retournant une dernière fois 24 mois plus tôt. J’hésite… Si nous faisions une photo et repartions ni vu ni connu ?

porte.lithuanie

Je passerai sur la surprise de nos proches, les questions rhétoriques et les émotions colorées des premiers jours.

Qu’est ce que je fais là ?

Très vite, ça te vient à l’esprit, car tu n’as plus de repères. Ce qui te semblait familier est devenu différent et ta routine de voyage encore bien présente te démange. Tu ressens intensément chaque détail de la vie quotidienne, ça t’explose au visage et dans un même temps tu es anesthésié. C’est trop gros, une claque, tu es là pris dans des vagues successives de réalité et tout s’enchaîne.

Il y a quelque chose qui cloche. Pourquoi je suis si stressée, regardant autour de moi comme un petit animal apeuré, assise droite comme un I sur le bord de ma chaise ? Parler ma langue me laisse parfois sans voix car les mots n’y sont plus, je ne les trouve pas aussi rapidement qu’avant. Plus rien n’est vraiment important, dormir par terre ne pose pas problème, j’ai déjà la chance d’avoir un toit. Tu relativises tout, tu arrondis les angles, tes priorités ont changé. Tu te demandes c’est quoi tout ces vêtements dans les caisses alors que tu avais 2 pantalons et 3 t-shirts que tu as usés jusqu’à la corde. « Pourquoi tu ne prends pas les transports ? » Je ne sais pas, je me suis juste mise à marcher.

Après avoir tant vécu d’expériences sur la route, après avoir imaginé que tu allais dormir des jours pour te reposer, tu te lèves avec le soleil pour faire face aux choses les plus simples. De l’eau, dans la maison, potable, froide et surtout chaude, un vrai émerveillement. Aller faire des courses, à des horaires définis, s’étonner des prix, car il n’y a plus en rue des échoppes pour acheter son repas. Ensuite, il faut commencer à expliquer, justifier, se remettre dans le moule ou du moins tenter au plus vite, car c’est fini les « vacances». Je n’ai plus réussi à dormir et j’ai fait des crises d’angoisses.

Qu’est ce que j’ai ?

Un choc culturel.

Sur le coup, ça paraît bête comme ça, tu ne t’y attendais pas. Après tout tu es de retour chez toi, dans ton pays, et évidemment tu savais qu’il fallait se réadapter, mais on ne peut pas tout prévoir. C’est un peu comme quand tu pars, tu anticipes pour être préparé aux éventualités et, au final, ça ne se passe jamais comme prévu. Voyager c’est intense. Là, c’est la même chose. Tu devrais être heureux de retrouver famille et confort, mais tu ne réalises pas vraiment que c’est fini, que le sac est défait (il a bien fallu au bout d’un moment vider « ta maison ») et qu’il est temps de bâtir de nouveaux projets. Tout semble plus compliqué qu’avant ; les papiers administratifs, les gens qui te semblent guidés par la peur et leurs réflexions bizarres qui te touchent 100x plus, le système que tu essayes de décrypter et qui n’est pas assez humain à ton goût. En fait tu ne comprends plus rien, tu es perdu, comme déconnecté. Tu es chez toi, mais plus vraiment.

J’ai fait un choix, même plusieurs, celui de me lancer, celui de revenir, et j’assume. C’est très personnel, mais je trouve qu’il faut plus de courage pour rentrer que partir. Évidemment, il n’en est pas de même pour tout le monde. Il y en a pour qui c’est un soulagement, où le retour se passe en douceur, parfois même de manière planifiée permettant de retrouver une autonomie et minimiser le changement de style de vie. Puis on peut enfin se « reposer », se remettre des coups durs et enfin partager avec ses proches des moments de complicité où on raconte nos aventures et où on prend des nouvelles de chacun.

Je suis repartie.

Ma solution, c’était de retourner sur la route, voir si je pouvais continuer encore un peu, trouver mon rythme, me prouver que je peux aussi le faire seule, me rassurer sur la possibilité d’ouvrir la porte et prendre mon sac, de ressentir encore les mêmes émotions au delà de la fatigue, rencontrer toujours d’autres humains, créer des souvenirs, trouver le courage de lever le pouce et de galérer. Quand je suis finalement revenue une fois de plus à mon point de départ, j’étais plus détendue.

En résumé, il faut le temps. on l’a pris en voyage, on peut bien se poser ici 5 minutes histoire de vivre notre nouvelle vie non ? Ne pas avoir peur de s’exprimer librement, surtout avec d’autres voyageurs qui «comprennent» implicitement nos envies et nos doutes, avec qui il n’y a nul besoin d’expliquer en long et en large car ils savent très bien l’effet « retour ». Ils l’ont vécu, on se soutient. Et pour ceux qui sont encore sur les routes, qui appréhendent la fin, on les rassure. Oui, on sera là quand ils rentreront, prêts à tendre la main et l’oreille en cas de besoin. Ce sont quelques conseils qui aident voyageurs et non-voyageurs.

Certains ferment ce livre-là pour en ouvrir un nouveau, d’autres attendent le prochain chapitre de l’aventure. En tout cas, je ne regrette pas du tout ce voyage. Je devais finir un cycle, j’avais l’impression que c’était une nécessité, une étape, en attendant la prochaine… et j’en suis reconnaissante.

Article rédigé par Stephanie Pasteels

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