Nous étions le 25 janvier 2019, ma partenaire de voyage Alex et moi-même avions déterminé que notre bonne forme physique nous autorisait l’accès VIP à une bonne randonnée de plusieurs jours. Nos sacs beaucoup trop remplis sur le dos et nos bâtons de marche pépère/mémère bien en main, nous avions fait route ce beau matin vers le petit village andais de Sigchos, dans la province de Cotopaxi en Équateur. De là, nous sommes partis pour une marche de trois jours à travers des paysages à se décrocher le dentier. Ce parcours, nous faisait transiter par trois villages en montagne typiques et aboutissait au lagon de Quilotoa, cratère volcanique au dodo depuis maintenant plus de 700 ans. Toutefois, les petites bulles à la surface de l’eau couleur émeraude nous rappelaient que, même si le volcan fait de beaux rêves, le cadran peut sonner à tout moment.
Bien confiant que nous avions plus de chance de mourir en trébuchant sur une petite cuillère que par une éruption volcanique, nous avons donc entamé notre marche, un peu déboussolés par l’agilité des petites dames en mocassins qui montaient plus vite que nous. Bien vite, la pente de plus en plus abrupte, nos sacs trop peu légers et l’allemand nous accompagnant étant incapable de garder le silence plus de 26 secondes nous incitèrent à rester deux nuits à la première auberge du circuit, le Llullu Llama. Compensant l’évident trop grand nombre de L de son nom par un emplacement absolument pittoresque sur le promontoire montagneux du minuscule village d’Isinlivi, l’auberge avait tout d’un petit havre de paix où faire du yoga sur le toit au soleil levant n’est qu’une formalité.
Bref.
Sous le charme, ma partenaire de voyage et moi-même réservons donc une deuxième nuit sur le champ. Jour deux: yoga, entraînement et beaucoup de lecture derrière ma cravate figurative, je m’aventure en fin de journée vers le sommet d’une petite colline surplombant la vallée environnante avec Baloo, le gigantesque toutou Saint-Bernard du proprio sur les talons. La vue y est à se tordre les poumons, la lumière impressionniste d’un soleil somnolent baillant ses derniers rayons dorés sur les montagnes de l’autre côté de la vallée, au nord. La fresque naturelle qui s’offre en spectacle à mes rétines me donne envie de pleurer. Sauf que je n’ai pas pleuré, j’te l’jure. J’ai pas pleuré, ARRÊTE!
La chanson thème du Seigneur des Anneaux me revenant systématiquement en tête dès lors que je contemple/fais quelque chose d’épique – parce que oui, je fais régulièrement des trucs qui relèvent de l’Iliade -, je baisse le regard vers Baloo pour perdre ma main dans son épais manteau de poil grichou et malodorant. C’est à ce moment que j’ai réalisé que le pitou semblait mâchouiller une matière inconnue. Mes yeux tombèrent alors sur quelque chose qui m’avait échappé jusqu’à maintenant.
La quasi entièreté du gazon, ainsi que l’espace circulaire de béton faisant face à un petit bâtiment gratifiant la colline de son inutilité, étaient jonchés de débris de plastique, de bouchons de bouteilles de bière et de vitre fracassée. Un si beau décor, souillé pour absolument rien avec une paresse et une désinvolture consternantes.
Partout autour de moi, le triste témoignage de l’insouciance et du nombrilisme humain. Je suis dégoûté. Non pas avec une quelconque forme d’arrogance ou de sentiment de supériorité face à une culture qui n’est pas la mienne… Mais par le constat alarmant que, collectivement, les bipèdes idiots que nous sommes faisons face à un échec cuisant.
Je suis conscient qu’il y a des catastrophes bien pires ailleurs dans le monde, mais je n’en étais pas moins révolté. Je tourne donc le dos au paysage et je retourne à mon auberge, le vieux Baloo m’emboîtant le pas, la langue traînant par terre. La vision des cochonneries m’accompagne tout au long du souper, si bien que, après avoir terminé mon petit sorbet aux mûres, j’enfile ma lampe frontale et je demande un balais à l’aubergiste dans un espagnol aussi chancelant qu’un unijambiste funambule. Puis, je m’éclipse en douce de l’auberge sans avertir Alex et je retourne vers le sommet de la colline sous un ciel sans lune.
Pendant une heure et demie, je me suis évertué à remplir tout un sac avec les déchets jonchant le sol de béton, esquivant quelques chauves-souris au passage. C’était long, c’était plate, mais je me suis senti bien et j’étais fier de moi sur le chemin du retour, mon butin bien lourd à la main.
Le geste, autant que l’histoire que j’en ai fait, n’était et n’est pas motivé par un quelconque désir de auto-promotion ou de vanité instagramable, mais plutôt par la conviction profonde qu’on peut tous faire notre part à l’échelle de nos capacités immédiates. En ce 26 janvier, perdu dans les montagnes de la Cordillère des Andes, je n’allais pas trouver à moi seul la solution miracle pour inverser les effets du changement climatique, ni trouver une façon nouvelle d’inculquer une mentalité moins consumériste à l’humanité. Toutefois, je pouvais prendre la décision d’avoir un peu de bon sens et de prendre de mon temps pour aider à redonner un semblant de prestance à cette magnifique petite colline du village d’Isinlivi. Peut-être la différence ne frappera pas aux yeux. Une chose est sûre; personne ne m’a vu, personne ne me dira merci, sauf peut-être le bon vieux Baloo qui a aujourd’hui un tout petit peu moins de chance de se blesser une pa-patte sur l’autel de l’imbécilité humaine.
Article rédigé par Simon Therrien
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WOW, quel beau texte rempli d’humour et d’intelligence!
Longue vie à cet auteur!