Depuis que je suis petite, je me fais souvent poser toutes sortes de questions concernant ma nationalité. « D’où viens-tu? » « Quels sont tes origines? » « Paula? Ce n’est pas un nom commun… ça vient d’où? » « Es-tu québécoise? ». En général, je suppose que c’est par curiosité et intérêt que les gens me questionnent… et, à la longue, je m’y suis habituée. Mais, en dépit du fait que ces questions sont généralement inoffensives, n’empêche que j’ai toujours eu le sentiment d’être considérée comme différente en raison de mes origines. Par contre, je n’ai jamais cru qu’un jour je serais une étrangère dans mon pays natal.
Immigrante au Canada depuis l’âge de 9 ans, Bolivienne à l’origine, j’ai été, depuis mon enfance, déchirée entre deux cultures, deux manières de penser complètement différentes avec quelques valeurs les unes opposées aux autres. Oui, j’apprécie mon nouveau chez-moi, le pays qui m’a accueillie, mais au fond de moi, j’ai toujours voulu s’avoir ce que c’était de pouvoir s’identifier à un seul pays, sans avoir à hésiter. Ici, les gens me considèrent comme « la latina » et, là-bas, on me voit comme « la nord-américaine ». C’est alors que, l’an dernier, j’ai pris la décision folle de partir en voyage en Amérique latine. Mon premier voyage solo qui allait me permettre de comprendre mes ancêtres, comprendre ma culture d’origine. Une année qui allait me donner la chance de faire un retour à mes racines.
On parle souvent des voyages comme d’une façon qui nous permet de nous trouver. Eh bien, pour moi, dans les débuts de cette aventure, je ne me suis jamais sentie aussi perdue. Peut-être avais-je les yeux fermés en croyant que j’allais obtenir toutes les réponses que je voulais, que j’allais enfin pouvoir dire haut et fièrement que je suis « latina », mais la réalité m’a rapidement rattrapée… ça n’a pas été aussi facile. Comme ici, les voyageurs et les locaux me demandaient d’où je venais. Je vivais un malaise constant, dans les rues et dans les auberges de jeunesse. « Where are you from? » est une question assez commune que l’on se fait poser, une façon qui nous permet de bien se connaître entre « voyageurs ». Ce que les autres ne savaient pas par contre, c’est qu’à chaque fois que je répondais en disant que je suis canadienne, j’avais la sensation de trahir mon identité bolivienne, et vice-versa. Mais la confusion était certainement plus prononcée lorsque je me faisais poser ces questions dans la rue, par des locaux non seulement en Bolivie, mais aussi dans tous les pays de l’Amérique du Sud que j’ai parcourus. J’imagine que c’est parce que la culture latino-américaine, plus conservatrice, n’appuie pas autant les « backpackers », comme on le fait ici, surtout si ce sont des femmes. En me promenant dans les marchés, j’ai remarqué que les gens étaient étonnés de voir une fille, aux traits physiques boliviens, seule, habillée dans le style « in » occidental qui se promenait avec son sac-à-dos. Je voyais que les commerçants me pointaient du doigt, me traitant de « gringa ».
On peut se préparer au fait que les voyages de long terme seront difficiles mentalement et physiquement, mais il est impossible de se préparer au sentiment que l’on ressent lorsqu’on se fait demander « d’où viens-tu? » par un commerçant local de son pays d’origine. Frustrée, triste, je me disais : « Je n’ai pas l’air assez bolivienne? Je ne suis pas étrangère! ».
À mon 3e mois de voyage, assise sur le balcon d’un petit « hostal » en Colombie, je me rappelle avoir pris mon journal et y avoir noté 3 mots qui traversaient mon esprit depuis le début de mon aventure. QUI SUIS-JE?
Néanmoins, cette frustration, cette incompréhension, ont dû être mises de côté. Après tout, ce ne pouvaient pas être ces sentiments qui allaient m’empêcher de continuer mon voyage. Je devais poursuivre pour faire ce que j’étais venue faire: comprendre mes racines, découvrir ce magnifique continent et visiter des lieux que je n’avais jamais vus.
Alors, j’ai pris l’habitude de rire avec les gens lorsque je ne prononçais pas bien les expressions. De garder le sourire en expliquant pourquoi mon espagnol est aussi parfait, même si je suis une « gringa ». D’expliquer que j’ai grandi dans un autre pays, mais que je suis tout de même bolivienne. J’ai gardé l’esprit ouvert. Et grâce à ceci, j’ai pu apprendre un million de choses que je ne connaissais pas sur l’Amérique Latine mais surtout sur la Bolivie. Un pays ô combien riche en histoire, riche en ethnicité mixte, riche en paysages et en vues à couper le souffle.
À quelques semaines de retrouver ma maison et ma famille à Québec, je me suis reposé la question. QUI SUIS-JE? J’ai pris mon journal de voyage et j’ai répondu. Je suis une enfant du monde. Je suis canadienne ET bolivienne. Je fais partie de la nouvelle génération qui voyage, qui découvre, qui aime les nouveautés. Je n’arriverai peut-être jamais à m’identifier à une seule culture, mais est-ce aussi négatif que l’on pense? Devons-nous être aussi fermés sur le besoin d’être quelqu’un facilement défini par des étiquettes?
Aujourd’hui, je me sens comme la personne la plus chanceuse sur Terre. Je remercie mes parents de m’avoir donné l’opportunité d’être mélangée. Et je suis reconnaissante d’avoir eu la chance de vivre ce voyage seule, car cette expérience m’a permis d’assimiler ce que j’apprenais et de trouver ce que j’aimais et aimais moins de ma culture d’origine. J’ai finalement compris que je ne pouvais pas revenir en arrière et être 100% citoyenne de l’un ou l’autre. Il y a deux pays auxquels je m’identifie. Je reconnais cette différence et je l’assume, car celle-ci me permet d’être moi-même. Un mix entre une fille qui est capable de danser la salsa et une fille qui adore manger de la poutine.
Article rédigé par Paula Marano.
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