Je suis assis seul dans un petit resto d’Abidjan. Mon repas, composé de poulet, d’oignons sautés, de manioc et de plantains frits, a toutes les raisons du monde de me satisfaire et c’est entièrement le cas. Je déguste le tout, un peu maladroitement, à l’aide seule de ma main droite, je vous jure que c’est bien meilleur ainsi. Mon esprit, quant à lui, oscille entre la contemplation du moment présent et le flux de mes pensées.
Sur le chemin du retour, je marche, j’explore les rues vivantes du quartier. Assis devant les commerces, les gens prennent le temps de discuter. Je regarde tout ce qui se passe autour de moi avec émerveillement. Un émerveillement serein qui me tient éveillé sans pour autant m’exciter. Je souris aux gens, ils me sourient en retour puis on s’échange un long regard de curiosité. Certains d’entre eux m’appellent pour qu’on discute. Ici, les contacts humains sont simples et honnêtes, j’adore ça. Je reste 1 minute, 10 minutes ou 45 minutes avec ces inconnus. Avec eux, je discute de la Côte d’Ivoire, de l’image que j’en avais avant d’arriver, de l’image que j’en ai maintenant, du Canada et du bonheur.
Le bonheur est un concept qui m’intéresse beaucoup. Je me questionne, je questionne les autres, j’écoute et ça alimente ma réflexion. Je lis Plaidoyer pour le bonheur de Mathieu Ricard, de nouvelles idées surgissent et ma réflexion avance de plus belle. Le bonheur m’intéresse et, en voyage, naturellement, il devient une question centrale dans mon quotidien.
Pour moi, voyager c’est d’abord être propulsé dans un nouvel environnement, à l’abri de ses repères. Ce changement, parfois drastique, nous ébranle jusqu’au plus profond de notre être. À la maison, dans notre environnement habituel, on sait comment tout fonctionne et comment tout va fonctionner pour la suite. Alors on s’endort. On perd peu à peu conscience de ce qui se passe autour de nous. Puis on quitte. Ce nouveau départ sonne la cloche du réveil et on est fin prêt à affronter tout ce qui se présente à nous.
Mais qu’est-ce qui déclenche ce réveil? Ce n’est pas le changement de fuseau horaire ou encore le prix de la bière qui nous sort de notre sommeil, mais plutôt la présence attentive, maintenant facilitée par un quotidien bouleversant. Par présence attentive, je fais directement référence à la pleine conscience du moment présent. Au départ, nous sommes présents pour les extrêmes : quelque chose de très beau ou de très laid, un moment extraordinaire ou d’un ennui total, quelqu’un de très gentil ou de très méchant. Autrement, on est un peu indifférent à ce qui se passe autour de nous. En voyage, ces choses, ces moments et ces personnes sont décuplées, faisant en sorte que notre présence à l’instant l’est également. Comme le retour au moment présent est un réflexe qui se développe, plus on le fait, plus on devient attentif aux éléments plus subtiles qui constituent le présent.
Quel est le lien entre bonheur et présence attentive? Je crois qu’une façon de cultiver le bonheur est d’accorder une valeur à tous les éléments qui constituent le présent. J’accorde de la valeur aux éléments extérieurs comme les rencontres, les activités, les paysages, que je les juge comme étant positifs ou négatifs. Puis j’accorde de la valeur aux éléments plus subtils comme le regard des passants, les sourires, les odeurs et les sons. Tout ça porte une valeur seulement du fait que ça se déroule ici et maintenant et que je suis en mesure de le contempler. Enfin, j’accorde de la valeur aux réactions intérieures que ces éléments déclenchent en moi. On accorde facilement de la valeur aux émotions positives, mais qu’en est-il de celles que l’on juge comme négatives? La colère et la tristesse ont aussi de la valeur, parce qu’elles sont présentes et que je suis en mesure de les contempler. Pour ma part, lorsque je voyage, je fais souvent face à un sentiment d’insécurité. Au départ, je jugeais la sensation comme étant négative, puis, l’ayant apprivoisée, je l’accepte et lui accorde de la valeur. Maintenant, lorsque celle-ci se présente, je respire et je souris en me disant à quel point je suis privilégié d’être où je suis.
En voyage, comme nous sommes surexposés aux éléments qui nous tiennent dans le moment présent, nous avons une immense opportunité d’accorder de la valeur à tout ce qui se passe autour de nous. Ainsi, de retour à la maison, dans notre quotidien un peu moins bouleversant, nous pourrons être en mesure d’accorder de la valeur aux éléments plus subtiles, chose qu’on ne faisait pas auparavant.
Article rédigé par Olivier Carignan-Beauséjour.
…
À lire également sur Nomade Magazine :
Superbe article 🙂