Quand j’avais 14 ans, Marcel Leboeuf est venu à mon école secondaire pour donner une conférence sur le pèlerinage de Compostelle. J’ai été pendue à ses lèvres du début à la fin. À l’âge que j’avais, je ne savais toujours pas ce que j’allais exercer comme métier plus tard, mais j’avais une nouvelle certitude : j’allais marcher dans ses pas un jour. Des années plus tard, force m’a été de constater que le seul « Compostelle » dans ma vie avait été le roman de Paulo Coehlo. Et le film Les doigts croches. Je me disais que j’allais réaliser mon rêve un jour, quand il allait m’être possible de prendre un petit 40 jours off. Étonnamment, l’occasion ne s’est jamais présentée d’elle-même et j’ai compris, à 28 ans, que j’allais devoir la créer. J’ai donc pris mon courage à deux mains, j’ai averti mes patrons que je partais pour plus d’un mois, je me suis équipée et je suis partie réaliser mon rêve.

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Le pèlerinage de Compostelle, bien qu’accessible à tous ou presque, n’en reste pas moins exigeant et le défi à relever est de taille. C’est l’aventure idéale pour tester ses propres limites et pour se mettre dans un état tout autant d’ouverture que d’introspection. Tout ça m’amène à vous dire que cette expérience m’a appris énormément, sur moi-même et les autres, m’a permis de tirer de précieuses leçons et a amorcé certaines réflexions qui ont continué leur petit bout de chemin même après mon retour au pays.

Nous sommes capables de beaucoup plus que nous le croyons

Si on m’avait montré le dénivelé des premiers jours de randonnée en me disant que j’allais devoir monter et descendre tous ces kilomètres dans le vent, la pluie, la grêle, la neige, le froid et la chaleur intense, j’aurais sûrement ri en pensant qu’il y avait erreur sur la personne. Mais quand on y est et qu’on n’a pas le choix, on le fait et c’est tout. Notre corps nous suit, parfois à contrecœur, mais c’est l’occasion de tester nos capacités et de se rendre compte qu’on peut être beaucoup plus déterminés qu’on le croit. Il y a l’aspect mental de la chose aussi, une solitude à la fois totale et incomplète, parce qu’on est seul avec nos maux et nos questionnements (et il y aura abondamment des deux), mais constamment entouré d’autres pèlerins seuls. La notion d’intimité change complètement et on se rend compte qu’on s’adapte à presque tout au final.

Chaque personne qui croise notre chemin a quelque chose à nous apporter

Les rencontres que l’on fait durant notre parcours sont tout sauf anodines. Et c’est parfois avec le recul qu’on comprend pourquoi il fallait rencontrer ces personnes-là et pas d’autres. C’est quand même incroyable de se dire que tout au long de cette expérience, on reverra les mêmes personnes plusieurs fois, alors que certaines autres nous échapperont à répétition. J’ai rencontré des Québécoises de 18 ans, des Français de 65 ans, un Allemand de 27 ans, un Hollandais de 39 ans, une Américaine de 22 ans, plusieurs autres également, et chacune de ces personnes m’a offert quelque chose d’inestimable. Que ce soit m’encourager à me faire confiance, me raconter l’histoire derrière leur pèlerinage, de partager une conversation fascinante, une présence réconfortante ou une compassion sincère, j’ai été gagnante à tous les coups et je leur ai tous donné une part de moi-même également, tout en me sentant plus entière chaque fois. Les gens que l’on rencontre sur le chemin font réellement toute la différence et ce n’est pas pour rien que les pèlerins ont les yeux brillants lorsque, à leur retour, ils mentionnent leur « camino family ».

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Le bonheur est dans les choses simples

Forcément, quand on traîne sur notre dos tout ce qui nous sera utile pour le prochain mois, on se déleste de notre côté matérialiste et on préfère la qualité à la quantité. On réapprend à se satisfaire de l’essentiel et on savoure les petits luxes comme jamais auparavant. Que ce soit une douche chaude, une journée sans douleur, une prise électrique libre, une nouvelle rencontre, un superbe coucher de soleil ou un temps clément, tout prend des allures de bénédiction. L’aspect répétitif de la marche nous permet de nous concentrer sur le moment présent, sur le vent qui caresse notre visage, sur le soleil qui nous chauffe l’épiderme, sur le sentiment d’accomplissement que chaque pas apporte, sur le décor enchanteur tout autour… On réapprend à être heureux par ce retour à la simplicité. Pour moi, le bonheur a été de marcher seule à mon rythme avec Damien Rice dans mes oreilles, d’avancer sous la pluie battante sans aucun abri en vue en choisissant d’en rire, d’écouter l’histoire de cet homme que j’avais mal jugé au départ, de profiter de ma solitude sur le chemin pour chanter la berceuse que mon père me chantait enfant. Les pèlerins sont très doués pour le bonheur.

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Il faut apprendre à lâcher prise

Il est fort probable qu’en plus de 30 jours de pèlerinage, tout ne se passe pas comme prévu et c’est notre attitude face aux obstacles qui déterminera si notre chemin sera une réussite ou un échec. Peut-être que la ville où on décidera de s’arrêter n’aura plus de lits disponibles, peut-être que la douleur nous forcera à prendre une journée de repos et peut-être que tout ça fera en sorte qu’on vivra la plus belle des expériences par un concours de circonstances. Il faut apprendre à faire totalement confiance à la vie et à croire en nos capacités. J’ai eu plusieurs malchances lors de mon camino, dont certaines qui ont retardé ma route, mais tout ça m’a amenée à rencontrer des gens incroyables que je n’aurais jamais croisés si j’étais passée là une journée plus tôt. Plus que ça, ces difficultés m’ont fait voir à quel point j’étais capable de m’en sortir par moi-même et m’ont permis d’être fière de ma persévérance. La résistance ne mène qu’à la déception. Les plus sages savent qu’il faut tirer profit de toutes les situations qui se présentent à nous.

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Le corps est un formidable vaisseau

Dans notre société actuelle, l’image demeure encore très importante et on subit beaucoup de pression pour atteindre les standards de beauté, qu’on le veuille ou non. Mon pèlerinage m’aura appris à redécouvrir mon corps non pas comme un objet esthétique, mais comme un formidable vaisseau capable de me porter à travers la distance et le temps. J’ai appris à être à l’écoute de mes douleurs, à bien traiter cette enveloppe qui me permet d’avancer sur Terre. Ça peut sembler d’une évidence, mais j’ai appris que je devais prendre soin de ma personne si je voulais profiter de mon existence au maximum et vieillir sainement, sans m’imposer trop de limites.

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La force mentale fait toute la différence

Il y a des journées où on doit marcher sous la pluie et contre le vent. Il y a des journées où on grimace de douleur avec chacun de nos pas. Et il y a des journées où on remet tout en question. Je crois que tous les pèlerins traversent une phase où ils envisagent de laisser tomber et de retourner au confort et à la sécurité. J’ai vu certains d’entre eux succomber à la tentation et j’avoue que j’y ai sérieusement songé à de multiples reprises. Heureusement, j’ai pris la décision de continuer chaque fois et je vois maintenant tout ce que j’aurais manqué si j’avais déclaré forfait. Ma dernière semaine de marche a été la plus riche et la plus exaltante et je l’ai appréciée davantage grâce aux moments difficiles qui ont précédé. L’important est de se rappeler les raisons qui nous poussent à nous lancer dans de telles aventures et, au final, la récompense en vaut tellement la peine. Mon pèlerinage a été l’un des moments marquants et décisifs de ma vie, il représente un tournant dans ma façon d’aborder ma vie et les obstacles qui la parsèment.

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Il n’y a rien de plus beau que de réaliser ses rêves

C’est sûrement l’une des phrases les plus « clichées », mais ça n’en demeure pas moins vrai.  J’ai rêvé à Compostelle pendant 14 ans et il y a eu de nombreux moments où j’ai cru que le camino n’échapperait pas à son statut de rêve, que je ne trouverais jamais le courage et le temps de le transposer dans la réalité. Heureusement, j’avais tort, je suis aujourd’hui riche de cette expérience incroyable qui a changé ma vie et mon dernier pas sur le chemin a laissé place à de nouveaux rêves, à de nouvelles aventures et à la certitude que je pourrais les accomplir si je le voulais vraiment. C’est ce que je retiens le plus de tout ça : c’est à notre portée à tous de prendre des décisions qui feront basculer notre existence et qui nous feront évoluer. Tout ça commence simplement par un choix et, déjà, la partie la plus difficile est terminée. Il suffit de dire un gros OUI à la vie et à nous-même et ça évite aussi beaucoup de regrets. On finit ainsi par voir que la plupart de nos rêves sont réalisables.

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Article rédigé par Laurence Brouillard-Turbide.

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