Si je vous parle de prohibition, je suis certaine que c’est un sujet qui vous dit quelque chose. Il est malheureux que les écoles ne l’abordent pas dans leurs programmes scolaires. Tout d’abord, parce que beaucoup d’étudiants seraient soudainement intéressés par les cours d’histoire et, deuxièmement, parce que de laisser Hollywood ou encore des films comme Des hommes sans lois (Lawless en anglais) raconter une histoire qui nous touche n’est peut-être pas la meilleure des idées. Parce que oui, pour certaines régions du Québec, cela fait partie intégrante de notre histoire. Gatineau est l’une des villes qui ont été le plus marquées par ces années.

L’histoire en bref de la prohibition en Outaouais

Le terme prohibition fait entre autres référence aux lois sur l’interdiction de l’alcool qui ont été en vigueur de 1916 à 1927 partout en Amérique du Nord. L’Outaouais, et plus précisément le Vieux-Hull dû à sa position géographique et à son titre de ville frontalière, a été particulièrement touchée par la prohibition.

La loi interdisant l’alcool dans le Vieux-Hull est entrée en vigueur le 1er mai 1918. Le 4 mai, soit quelques jours plus tard, se tenait un référendum à savoir si cette loi serait ou non conservée : le résultat a été 2487 voix contre 1306 en faveur de la prohibition.

La création du marché noir

La région n’a pas connu la prohibition bien longtemps puisque la loi qui avait été votée le 1er mai 1918 a été levée en juillet 1919 suite à un deuxième référendum : la population a soif et vote 713 voix contre 103 pour le retour de l’alcool sur le territoire. Ce deuxième référendum a été demandé puisque les habitants cautionnaient de nombreuses productions importantes d’alcool et dirigeaient de nombreux bars clandestins sur le territoire. Les habitants refusaient de se soumettre à la loi Volstead.

Le Vieux-Hull a été bien marqué par la période de la prohibition, non pas par ces lois, mais bien par les conséquences. C’est entre 1919 et 1939 que la ville de Hull a acquis le surnom du Petit Chicago, d’où l’origine du bar qui porte ce même nom et qui est toujours présent d’ailleurs dans les rues du Vieux-Hull.

On dit qu’avec l’alcool vient le vice, mais avec le vice vient aussi une hausse importante du taux de criminalité : « Dans son rapport pour l’année 1912, le chef de police de Hull établit à 642 le nombre total d’arrestations. De celles-ci, 225, soit plus du tiers, visent des «étrangers» (des Ontariens). Près de 50% de ces arrestations (295) sont effectuées pour «conduite désordonnée et ivresse», 61 pour avoir fréquenté des maisons de désordre et 50 pour langage insultant. » Après que la loi interdisant l’alcool en Ontario ait été votée «en 1916, la police procède à 1848 arrestations, dont 1448 (78%) pour ivresse et désordre (contre 295 pour le même délit en 1912). Ce total grimpe encore à 2260 personnes arrêtées l’année suivante, dont 1766 (78%) pour ivresse et désordre». Après le premier référendum pour faire entrer les lois de la prohibition sur le sol hullois, «les arrestations pour cause d’ivresse diminuent de façon draconienne, passant de 147 par mois avant 1918 à 19 par mois à partir de l’entrée en vigueur du règlement de prohibition».

C’est suite à toutes ces condamnations que la ville de Hull s’attire le nom de capitale nationale du crime.

Les Brasseurs du Temps : témoin de l’histoire

La microbrasserie de Gatineau est installée dans un lieu historique puisqu’en 1821, Philemon Wright, le fondateur de la ville de Hull, avait construit une brasserie sur les mêmes lieux. Les Brasseurs du Temps est d’ailleurs située tout près d’un ruisseau qui porte le nom de ruisseau de la Brasserie. L’endroit abrite entre autres le musée brassicole le plus important au Canada. Dans les vitrines du musée, il est possible de voir des objets datant de l’époque de la brasserie Wright comme des contrats écrits à la main entre le fondateur et John Molson. L’entrée au musée est gratuite et relate l’histoire brassicole à partir du moyen âge jusqu’à l’explosion des microbrasseries au Québec en passant bien sûr par la période de la prohibition.

Musée brassicole du BDT

Musée brassicole des Brasseurs du Temps

Musée brassicole du BDT

Musée brassicole des Brasseurs du Temps

Le Vieux-Hull en chiffres

  • En 1917, la ville de Hull comptait un débit d’alcool, donc soit un bar, une discothèque ou un restaurant par 762 habitants contre un par 1194 habitants du côté d’Ottawa.
  • En Ontario,  la consommation de bière et de vin dans les établissements hôteliers n’a été permise qu’en 1934 tandis que l’alcool a été remis en vente libre et redistribué dans les bars et discothèques seulement à partir de 1946.
  • Entre 1935 et 1936, on peut compter 1005 condamnations pour jeu illégal à Hull contre 9 condamnations pour la ville de Trois-Rivières, ville de taille similaire à l’époque.

Le Vieux-Hull n’a pas changé tant que cela : les confrontations entre l’anglais et le français sont encore présentes, les différences entre les Québécois et les Ontariens aussi. Parce que même si des décennies ont passé, l’histoire, elle, demeure. C’est difficile d’imaginer comment un simple pont peut séparer des individus sur tellement d’aspects. Sauf que c’est un fait, l’alcool est un lubrifiant social et le Vieux-Hull en est la preuve.

Sources :

Article rédigé par Élodie Beauvais

À lire également sur Nomade Magazine :