À 26 ans, alors qu’il aurait été naturel de s’enraciner, du moins selon les normes sociétales actuelles, j’ai plutôt choisi de bouger. Le 11 février 2016, j’ai dit au revoir à une vie stable et rangée, pour une vie de nomade digitale, constamment temporaire. Du moins pour l’instant.

Bien que cela puisse sonner paradisiaque, échanger son cubicule beige pour un balcon pittoresque à Paris, un café 3e vague à Copenhague ou un chiringuito à Malaga, ça implique une adaptation importante. Et je ne parle pas ici du choc culturel, bien que ça fasse aussi largement partie de la réalité.

Je parle plutôt de s’adapter à une réalité éphémère, de transformer sa logique sédentaire en logique nomade. Lorsque notre environnement change continuellement, il faut être en mesure de dire bonjour, mais aussi adieu, de s’ancrer dans l’éphémère, sans toutefois jamais trop s’installer. Mais, comment accomplir quelque chose d’aussi contradictoire? En deux mots bien simples : laisser aller.

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Laisser aller sa logique

En effet, pour s’adapter à une vie en constante mouvance, il devient nécessaire de changer sa mentalité et de déprogrammer sa logique. Par exemple, si on utilisait notre logique habituelle et la manière dont on perçoit « ce qui vaut la peine », un nomade ne pourrait bâtir d’amitiés, ni se sentir réellement chez soi. Après tout, pourquoi créer des points d’attache dans un sol mouvant? Pourquoi perdre son temps à bâtir des relations avec des personnes qui croiseront notre chemin pour quelques mois?

Être travailleur nomade, c’est aussi changer continuellement de milieu, rencontrer de nouvelles personnes, dire adieu, recommencer. Afin de ne pas entrer dans le tourbillon du « à quoi ça sert ? », il faut justement laisser aller cette idée que tout doit être utile et bâti sur le long terme. 

Laisser aller son confort

Une vie de nomade digital vient avec son lot d’aventures, tout comme la liberté vient avec son lot de responsabilités. Choisir un mode de vie « bohème » nous force naturellement à renoncer à un certain degré de confort et de connu. Le confort matériel d’un appartement décoré à notre goût, le confort de communiquer facilement dans notre langue maternelle, le confort d’avoir le support de notre famille et de nos amis à portée de main – bref, tout ce qui nous est facile, connu et familier. Je parle ici du confort de notre vie au Canada, mais aussi celui qu’on se créera à chaque fois qu’on s’établira dans une nouvelle ville, temporairement. S’adapter à l’éphémère, c’est aussi apprendre à être à l’aise avec le fait qu’on peut rarement chausser nos vieilles pantoufles. 

Laisser aller sa perception de soi

Voyager, c’est connu, ouvre nos horizons. La perspective et le recul sur notre petit monde, jumelés à la découverte d’une nouvelle culture, redéfinissent nos valeurs et nos idées préconçues. Qu’en est-il donc d’une vie où on est constamment l’étranger?

Dans notre petit groupe, on est le « drôle », le « timide », « l’extraverti », l’ami d’un tel, la sœur d’une autre. À l’étranger, on est défini par personne d’autre que soi. Les gens qui croisent notre passage n’ont aucune notion de notre passé, ni l’historique de nos succès et échecs. Ils n’ont que ce qu’ils voient devant eux : nous, maintenant. De vivre davantage dans le présent crée une autre adaptation : celle de laisser aller notre perception de soi, positive ou négative. 

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Laisser aller la notion de permanence

Ma vie en tant que nomade digitale m’a permis de réaliser que, dans une vie plus sédentaire, on a parfois l’impression que les choses sont plus permanentes qu’elles le sont réellement. Au quotidien, on côtoie les mêmes personnes, on fréquente les mêmes lieux, on peut avoir le même emploi pour des années. C’est en fait une illusion. Et c’est dangereux. On a tendance à voir nos choix comme définitifs, notre petit monde en ligne droite, alors qu’on a tout faux. Même si notre environnement immédiat ne change pas de manière drastique, nos besoins, nos idées, nos désirs changent. En croyant que notre vie est immuable, il devient difficile de laisser aller. Laisser aller des amitiés qui ne nous nourrissent plus, un travail qui nous rend misérable…

Prendre conscience que la vie n’a de constant que le changement nous place dans une meilleure position pour apprendre à laisser aller. Apprendre à accueillir les nouvelles expériences, bonnes et mauvaises, à gérer les imprévus, à faire de nouvelles rencontres, à dire adieu. Et à recommencer.

Vivre de manière nomade nous pousse tout simplement à vivre ces changements plus fréquemment et de manière plus importante. Le processus de s’adapter à une vie de travailleur nomade, une vie « éphémère », nous aide en fait à mieux vivre la vie en général.

Qu’est-ce qui est vraiment stable, de toute manière?

Article rédigé par Pascale Côté.

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