Je mentirais si je disais que je n’y avais jamais pensé. Je crois qu’on l’a tous considéré ne serait-ce qu’un instant. Je suis persuadée qu’on a tous eu ce petit moment de folie où on s’est dit « et si je le faisais ? ». Pour certains, c’est devenu une mission. Pour d’autres, c’est resté un fantasme, une idée, rien d’autre.

Pour Al et Edith, le Kilimandjaro c’était un vrai projet. Ils ont planifié et préparé leur ascension pendant huit ans. Le travail m’ayant amenée à passer une année en Tanzanie, Edith m’a contactée pour savoir si je serais toujours là en septembre, moment où elle a choisi son jour J. J’y serais. Son enthousiasme était tellement contagieux que j’ai eu envie de faire partie de l’aventure.

Je n’ai rien fait de concret pour préparer mon ascension. J’aurais dû. Vraiment. Surtout considérant que je n’avais jamais fait de hiking de ma vie. Je vous entends le penser et, oui, je vous le confirme : c’est vraiment une idée conne de commencer avec le Kilimandjaro.

On montera avec mon pote Monah qui sera un de nos guides pour l’ascension. En guise de préparation, Monah s’est contenté de me dire que mon pire ennemi sur la montagne serait la limite mentale que je m’imposerais. J’ai vraiment cru qu’il disait n’importe quoi.

Début de la route Machame

Jour 1 

J’ai réussi à suivre le rythme et à marcher les six premiers kilomètres en deux heures. On s’est ensuite arrêtés pour profiter d’un gros repas en plein milieu d’un paysage de jungle digne d’Avatar. C’était délicieux. J’ai trop mangé. Un des porteurs a alors vu que j’avais bu toute mon eau (c’était surtout pour alléger mon sac le plus rapidement possible). Il en a donc profité pour me remettre deux litres supplémentaires. C’était trop pour mes petits muscles déjà épuisés par l’aventure.

Mes bottes étaient mal attachées et, après le repas, je n’arrivais pas à trouver mon rythme sur un trajet de plus en plus vallonné. Plus la journée avançait et plus le défi devenait difficile. Au kilomètre huit, j’avais de la difficulté à reprendre mon souffle. Monah a dû porter mon sac pour le dernier kilomètre, heurtant ainsi mon amour-propre à la première journée. Je suis rentrée au camp où j’ai filé me coucher illico. Premier jour d’une série de sept… ça commence bien.

Jour 2

Forts de notre expérience de la veille, j’ai limité le poids de mon sac de jour et on a demandé à faire la plus grande partie de la randonnée avant de prendre le repas du midi. Grâce à Advil, mes muscles étaient moins sensibles. Edith, Al et moi avons chanté en cœur pendant les trois premières heures de la montée. Stéphane, le quatrième membre du groupe, n’avait pas la même forme. Le pauvre s’est mal acclimaté à l’altitude et a vomi à trois reprises pendant la même période.

La dernière heure de marche fut pénible. On n’avait plus d’énergie, faute d’avoir mangé. Chaque pas faisait mal. De peine et de misère, on a finalement atteint le camp 2 dans un environnement aride et désertique. Après avoir mangé, on a fait une heure de randonnée supplémentaire jusqu’au sommet d’une butte derrière le camp, afin de s’acclimater à l’altitude.

Je me suis réveillée vers minuit. La lumière de la pleine lune était tellement forte que, de ma tente, j’ai cru que c’était l’aube. La lune projetait une lumière blanche et douce sur le camp et sur les neiges du Kilimanjaro qu’on apercevait derrière.

Jour 3

On s’est levés tôt et on a commencé à monter en altitude. La steppe désertique a laissé place à une toundra silencieuse et aride. La première partie de la journée fut éprouvante. L’altitude brûlait toute notre énergie. On n’avait plus envie de chanter.

On a marché jusqu’à Lava Tower (à 4 400 mètres), avant de redescendre jusqu’au camp 3 (à 3 800 mètres). Chaque pas vers la descente nous ramenait à la vie. On avait alors plus d’énergie et tout semblait plus facile. Lentement mais sûrement, on se rapprochait d’Uhuru Peak, le point le plus haut du Kilimanjaro et notre destination finale. On a retrouvé le camp 3 dans une vallée au pied d’un immense mur de pierre et d’une source d’eau pure qui coulait juste à côté du camp.

Jour 4 

Je crois que toute personne faisant ce type d’expérience finit par casser à un moment où à un autre. Pour moi, ce fut au jour 4.

La journée avait pourtant plutôt bien commencé. On a escaladé le mur de pierre sur près de 400 mètres. Ce fut la portion la plus interactive de l’ascension. J’ai ensuite ressenti une fatigue intense. Mes muscles me faisaient souffrir. J’ai commencé à me demander pourquoi je me donnais tout ce mal. Avec le groupe, on s’était interdit de se plaindre pendant la randonnée. Ça faisait en sorte que j’avais l’impression d’être la seule à souffrir et que tous les autres allaient bien.

Vue du camp 4

Arrivée au camp 4, j’étais complètement épuisée. J’avais l’impression que cette aventure était de loin la chose la plus inutile que j’aurais accomplie de toute ma vie. Après tout, ce n’est qu’une montagne. Ça sert à quoi de prendre une semaine de congé pour monter jusqu’au sommet d’un tas de roches ? Ça ne fera pas avancer l’humanité. Je me questionnais sérieusement sur mes motivations. À défaut d’être joviale, j’ai préféré me retirer du groupe et garder mon air maussade avec moi, dans ma petite tente du camp 4.

OLYMPUS DIGITAL CAMERALorsque le camp est devenu silencieux, je suis sortie pour m’asseoir sur un rocher. La lune n’avait pas encore dépassé la montagne. Le ciel, noir, était éclairé par des millions d’étoiles. J’avais l’impression de pouvoir voir chaque détail de la voie lactée. À mes pieds, les nuages avaient disparus, laissant voir les milliers de lumières de la ville de Moshi. C’était à couper le souffle. Derrière moi, les flancs de la montagne descendaient de chaque côté du camp, comme deux bras maternels embrassant le plateau sur lequel on avait posé nos tentes.

C’est un privilège d’être ici et de voir ces paysages magnifiques changer aussi drastiquement autour de soi. Ça m’a fait du bien de me le rappeler.

Jour 5

On a marché pendant quatre heures pour atteindre le camp Barrafu, qui veut dire glace en Swahili. C’est une fois la nuit tombée qu’on réalise que le camp porte très bien son nom. C’est le dernier camp avant le sommet qui est six kilomètres plus haut. Arrivés au camp, on a dû continuer de marcher afin de monter un peu plus haut en altitude et mieux s’acclimater à la dernière portion.

Dernier crépuscule avant le sommet

Sur les longues dalles de roche à un angle de 70°, j’ai commencé à avoir des étourdissements. Je suis tombée. À six kilomètres du sommet, je n’en pouvais plus. J’ai dû rebrousser chemin. Quel sentiment horrible. Je ne me suis pas donné tout ce mal pour arrêter au dernier camp avant le sommet. Je tremblais sérieusement et souffrais d’épuisement. Monah m’a aidée à me relever et nous avons tranquillement marché jusqu’au camp de base.

Jour 6

Les porteurs nous ont réveillés vers 23h30. Il faisait un froid glacial. J’ai enfilé mes vêtements d’hiver et emporté avec moi tout ce que j’avais de chaud. On nous a forcé à manger, pour la 4e fois de la journée. Le pain avec beurre d’arachide ne passait tout simplement pas. Il n’y avait rien à faire. Le porridge non plus.

On restait tous silencieux, faute d’avoir quelque chose de positif à dire. C’est Edith qui a brisé le silence en nommant l’évidence : « Non mais quelle crisse d’idée de marde de faire la montée de nuit ! Sérieusement je n’ai tellement pas envie d’aller marcher 12km en ce moment ! Il n’y a pas un lever de soleil sur terre qui mérite autant d’effort !!! » J’ai ri. Quelle idée de merde, en effet.

Les guides sont venus nous chercher vers minuit. Monah m’a forcée à lui donner mon sac à dos. Comme j’étais déjà à bout de souffle, je n’ai pas résisté. D’un pas lent et constant, on a traversé le camp vers le sentier du sommet. Ici et là, on voyait des lumières de lampes frontales. On aurait dit des files de lucioles grimpant tranquillement sur le flanc de la montagne.

Je me suis concentré, sur chaque pas et chaque respiration. On a pris plusieurs pauses. Chaque pas était une torture. La seule chose qui nous gardait en mouvement était le fait que le froid qui entrait dans nos os, lorsqu’on était immobiles, était plus douloureux que la souffrance de nos muscles, lorsqu’on avançait à pas de souris. Mes mouvements étaient d’une lenteur troublante et, pourtant, mon cœur se débattait dans ma poitrine. J’avais l’impression que cette nuit ne finirait jamais. Inspire, gauche, expire, droite. Inspire, expire…

La lune a lentement traversé le ciel. Des lueurs ont alors commencé à teindre l’horizon. On a cherché le haut de la montagne et on n’arrivait pas à le trouver. Notre eau a gelé et il ne nous restait presque plus rien à boire. À ce stade-ci, plus personne n’arrivait à porter son propre sac. Les porteurs et les assistants-guides ont alors pris le relais avec grâce.

Le soleil s’est levé au moment où on a atteint Stellar Point. Pendant qu’on nous servait du thé, Edith et moi avons changé de bas afin de garder nos pieds au sec. On est ensuite repartis pour le dernier droit. L’arrivée du jour a allégé l’atmosphère. On était épuisés, mais on avait bon espoir d’arriver au sommet.

Lorsqu’on a vu le fameux panneau de bois, Edith m’a serrée dans ses bras. Al, qui nous attendait près du sommet, est venu nous rejoindre. On est resté blottis les uns contre les autres, avec les guides et les porteurs pendant plusieurs minutes. On a versé des larmes qui ont gelé rapidement. On s’est mis à danser autour du panneau et à rigoler comme des enfants. On a pris nos photos de groupe et on a entamé la descente. On avait retrouvé notre énergie. On a fait du slalom dans le sable de la même paroi où je croyais que j’allais mourir 3 heures plus tôt.

Pleurer de joieÀ notre arrivée, nos porteurs nous attendaient, fébriles. Ils ont sauté de joie lorsqu’ils ont appris qu’on avait réussi. Ils ont alors entamé toutes les chansons traditionnelles que vous entendrez sans doute si vous montez la montagne. Mine de rien, cette ascension a été possible grâce à trois guides et 24 porteurs. C’est une grosse équipe qui a permis à quatre petits Québécois de conquérir le Kilimandjaro. Je leur dois beaucoup et tiens à les remercier pour leur charisme, leur patience et leurs encouragements.

Jour 7

Plus on diminuait en altitude et plus mes problèmes respiratoires diminuaient. Je retrouvais mon souffle et toute mon énergie. On a redescendu la montagne en sept heures après avoir pris cinq jours à la monter. Monah avait peut-être raison, finalement. Au-delà de l’altitude, il y a une grosse partie de limites mentales et de perception dans cette histoire.

On rapporte tous quelque chose de la montagne. Moi, je suis redescendue avec un sentiment de paix intérieure. J’ai eu l’impression de m’être démontré que j’étais seule maître de mes limites et que je pouvais faire beaucoup plus que ce que je croyais alors. J’espère que ce sentiment restera avec moi longtemps…

Kili 00

Article rédigé par Jennifer Soucy

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