Burkina Faso – les séquelles
Nous étions sept femmes étrangères les unes des autres, prêtes à s’investir et à vivre une expérience humanitaire hors du commun en Afrique. Notre guide connaissait le Sénégal par coeur, elle entamait avec nous sa douzième mission dans ce pays. Depuis quelques années, l’idée de vivre ce genre de défi me séduisait, mais surtout, je savais que ce voyage me permettrait de découvrir une Afrique totalement hors des sentiers touristiques, ce à quoi je rêvais depuis toujours. Avant de partir, une inquiétude me tenaillait pourtant de l’intérieur, ce qui était arrivé au Burkina Faso quelques semaines avant notre départ. Des gens près de nous, presque des voisins, ont été tués par des terroristes. Je n’avais pas d’autre choix que d’y penser. Oui, il y avait une petite peur à combattre et une angoisse à contrôler, mais je m’étais engagée et, selon les dires de notre chef, il n’y avait pas de soucis à se faire. Le Burkina Faso étant situé à des milliers de kilomètres du Sénégal, il n’y avait vraiment pas de quoi s’énerver. C’est donc le 17 février 2016 que nous prenions toutes notre envol, plongeant tête première, fébriles et confiantes, vers ce lieu étranger.
Pour le partage et la photographie
Nous partions chargées comme des mulets, chacune ayant des dizaines de kilos de dons entassés dans ses valises, étiquetées et divisées pour être fin prêtes quand viendrait le temps de la distribution. Nous sommes toutes venues ici pour gâter ce pays à notre façon en espérant vraiment servir et être utiles par-ci par-là, mais nous nous sommes aussi embarquées dans ce périple pour vivre quelque chose de personnel à chacune, les 2 partis vivraient donc une expérience de partage à leur façon et c’est aussi ça l’objectif de cette mission. Pour ma part, le défi supplémentaire et récurrent à chacun de mes voyages est celui de photographier et d’immortaliser du mieux que je peux ces gens et cette terre iconique qu’est l’Afrique.
De petits chocs
Une fois sur place, les petits chocs de culture affluaient déjà. En débarquant à Dakar en pleine nuit, j’ai eu, pour un instant, l’impression d’avoir atterri en lieu hostile, sombre et disjoncté. Les rues désertes, les bâtiments désorganisés et en décrépitude… Bref, mon premier sentiment fut plus obscure que clair et j’ai rencontré ce soir-là une terre différente de ce que je m’étais imaginé. Naïvement, l’Afrique d’est en ouest représentait pour moi la savane en général, avec au passage quelques villes et villages exotiques. Je suis partie candidement sans vraiment m’informer des lieux à découvrir, car je préfère toujours me laisser impressionner sur place. Je n’ai pas été déçue pour ainsi dire. Exténuées par toutes ces heures de transport et après avoir passé un petit 48 heures sans fermer l’oeil, nous étions maintenant prêtes pour une première nuit sur nos petits matelas entassés dans une chambre de dortoir de l’hôtel Nizar.
Première distribution
Le lendemain, nous étions prêtes à découvrir ce monde, direction Joal et Fadiouth. Situé à l’extrémité de la Petite Côte, au sud-est de Dakar, cet endroit est vécu comme un premier enchantement. Fadiouth est en réalité une île artificielle constituée d’amoncellements de coquillages et reliée à la côte par un pont de bois. Nous avons emprunté tout de même avec François, notre guide sur place, une pirogue à partir de Joal pour s’y rendre, les oiseaux aquatiques nombreux nous accompagnant tout au long de la traversée. À mes yeux, ce fut le village le plus romanesque du périple. Harmonieusement constitué, ce village séduit au premier coup d’oeil. La lumière chaude de cette fin de journée embellissait tout ce qui se trouvait sous nos yeux. Notre groupe sillonnait ses ruelles tout en distribuant quelques cadeaux aux nombreuses familles présentes ce jour-là. Ce village de pêcheurs est occupé par une grande variété d’arbres, mais le plus impressionnant est sans hésitation le majestueux baobab qui, entre autres, est surtout à l’honneur au cimetière du village.
Précarité et sourires
D’un village à l’autre, d’une école à l’autre, nous découvrions un mode de vie rudimentaire, mais heureux en apparence. Partout, nous étions accueillies avec de beaux sourires. Dur à imaginer que, en 2016, des écoles d’Afrique manquent encore de matériel de base à l’apprentissage, mais c’est effectivement le cas. Au lieu de se partager un crayon Bic pour 2 enfants, chaque enfant aurait le sien, pour un bref instant. L’aventure se vivait à l’improviste, au gré des routes et de l’instinct du moment. Seulement quelques écoles et dispensaires chanceux ont eu la visite de notre guide et de ses troupes régulièrement. Ce sont ces mêmes 4 ou 5 lieux qui ont reçu un petit extra, cette fois-ci et pour la première fois, des livres et des semences. Les livres font rêver tout en éduquant et les semences québécoises apportent peut-être un peu de diversité au champ.
Tout au long du périple, nous devions trouver et négocier nos moyens de transport qui étaient aussi diversifiés et démantibulés que possible, tantôt une automobile, tantôt un mini-bus, plus loin un grand autocar et parfois même la charrette tirée par un cheval ou un mulet. Il n’était pas rare de devoir s’arrêter pour remettre de l’eau dans le radiateur. Il y avait aussi sur nos chemins des policiers qui nous bloquaient la route. Une poignée de Bic assurait alors notre laissez-passer. Vivre au rythme sénégalais et s’imprégner de leur propre réalité faisait aussi partie de cette mission. Les kilomètres se suivaient, mais ne se ressemblaient pas. Tout au long du chemin, des scènes dépaysantes accrochaient nos regards, les marchands s’entassaient aux abords des routes, les poissons accompagnés de leurs mouches gisaient à même le sol, les paniers d’osier multicolores se succédaient et même les dromadaires sauvages agrémentaient le paysage de temps en temps. Mes caméras n’ont pas eu beaucoup de répit, mais j’ai du faire attention de ne pas choquer certaines personnes, car ce n’est pas tout le Sénégal qui aime se faire voler le portrait. En guise de partage et suivant aussi les conseils de mon ami Ady, un Sénégalais vivant désormais à Québec, j’offrais mes portraits aux principaux concernés. Plusieurs avaient un compte Facebook ou un courriel, il allait être facile de distribuer ces photos à mon retour.
Jésus, Allah et cette question sans réponse
Le Sénégal se partage deux religions : le Catholicisme et le Coran. Tantôt nous assistions à une messe catholique avec chants et prières wolof (la langue la plus parlée au Sénégal avec le français), tantôt nous distribuions le pain chaud dans les écoles coraniques de la ville de St-Louis aux petites heures du matin. La religion se faisait ressentir partout au pays, avant même la montée du jour, les chants et prières coraniques surgissaient des hauts-parleurs provenant des mosquées environnantes. Ces mélodies aux allures de douces lamentations nous dépaysaient complètement et nous servaient également de réveil-matin nouveau genre. La figure de Jésus était aussi omniprésente et honorée, il n’était pas rare de voir ce visage célèbre s’incruster dans les textiles des grandes robes portées par les femmes africaines, surtout le dimanche. Les deux religions semblaient réellement faire bon ménage dans ce pays, jamais nous avons ressenti de l’hostilité ou un quelconque manque de respect entre les deux partis, ce fut très réconfortant de le constater. Petite anecdote au sujet de Jésus… Par un beau matin de distribution en charrette à travers les villages de l’île de Mar Lodj, une conversation assez loufoque s’est amorcée entre moi et Ciré, notre jeune guide du moment :
– « Moi, je suis un catholique de gauche ».
Devinant ce qu’il veut dire par là, je lui répondis :
– « Savais-tu qu’au Québec les gens ne vont plus à la messe, les jeunes n’y croient plus et même que la religion n’est plus enseignée dans nos écoles? »
Ciré se mit à rire soudainement très fort et de bon coeur. Stupéfaite de sa réaction, je lui demandai :
-« Mais pourquoi est-ce si drôle? »
Il continua à rire un bon moment, encore et encore, sans même me répondre.
Je dois désormais et malheureusement apprendre à vivre avec cette légitime question sans réponse et cette inattendue réaction jusqu’à la fin de mes jours…
La canne de conserve
Pour revenir à St-Louis, le manque ici était un peu plus palpable qu’ailleurs, les enfants étaient nombreux à marcher pieds nus, arborant leur canne de conserve vide prête à être remplie de vivres alimentaires. Nous avons distribué beaucoup plus de nourriture ici, touché du regard un petit garçon d’à peine huit ans qui, après avoir reçu de quoi manger, se frottait le bedon le sourire fendu jusqu’aux oreilles! C’était assez déconcertant comme scène urbaine. Ces brefs moments me faisaient penser à la période d’après-guerre au Québec. Même si je ne l’ai pas vécue, je sais que plusieurs familles nombreuses avaient peine à se nourrir à cette époque. Chacun peut un jour vivre ce manque, peu importe le pays qui vous héberge, personne n’est jamais à l’abri des diverses circonstances de la vie. On se rend compte aussi de ça, en vivant cette aventure déstabilisante à l’autre bout du monde.
Les Peuls, Mamadou et le désert
La visite d’un village pas comme les autres et la rencontre de ses habitants nommés les Peuls nous ont impressionnées vu sa localité et leur style de vie. Les Peuls sont souvent nomades et vivent dans diverses régions du continent. Les femmes peules se caractérisent par le tatouage de couleur indigo qu’elles portent sur les lèvres et les gencives. Les habitations sont construites de troncs et de branches d’arbre ainsi que de paille plantée en plein coeur d’une terre aride, sèche et beige. Le sable en cavale nous servait d’exfoliant naturel le temps qu’il nous fallait pour distribuer nos dons et visiter l’école.
Plus loin sur la route, un autre village authentiquement différent nous attendait : Lompoul. Les gens de ce village reconnaissaient bien notre chef qui revient toujours par là. Nous avons passé de bons moments avec eux. Le grand chef étant en prière lors de notre arrivée, en guise de compensation, nous avons été accueillies chaleureusement par le jeune fils et futur chef : Mamadou.
Un peu plus tard dans la même région, une petite pause-récompense nous attendait dans le désert. Les tentes blanches éparpillées sur le sable chaud faisaient rêver, les dromadaires se reposaient au loin et bientôt, nous allions être bien agrippées sur leur bosse, le temps de faire une petite excursion avant le coucher du soleil. À la nuit tombée, quelques-unes d’entre nous se laisseraient aller au son des tam-tams africains. Ce fut un grand moment de réjouissance que de pouvoir danser librement sous un ciel étoilé et de finir la soirée avec un bon repas typiquement sénégalais constitué de poulet mafé partagé sous la tente commune…
Inévitablement, le lac Rose et l’île de Gorée
À ce stade, les dons étaient presque disparus de nos grands sacs, bientôt il ne resterait plus que nos effets personnels et nos souvenirs. Avant de revenir à Dakar pour reprendre notre envol vers le nord blanc, nous faisions escale au Lac Rose. Le lac est rose à moitié à ce stade de l’année, mais nous appréciions le panorama, la baignade flottante en eau ultra salée et l’ambiance brumeuse de cette fin de soirée humide, le lendemain au réveil, nous repartions pour Dakar.
Une fois en ville, la visite de l’Île de Gorée s’imposait! Très touristique, de style coloniale et très colorée, cette île est un lieu historique à voir absolument. La visite de la maison des esclaves, entre autres, m’a vraiment secouée personnellement. On y voit les petites cellules avec au-dessus de chaque porte, un écriteau : hommes, femmes, enfants et même les récalcitrants. Les récalcitrants étaient des gens rebelles, des gens moins dociles comme on en connaît tous. Ils étaient entassés là comme de vraies sardines en attendant de franchir la porte du non-retour. En effet, quand un esclave était vendu, il franchissait cette porte qui mène à l’Atlantique et, de là, un petit bateau l’embarquait pour le conduire au navire plus loin dans la baie pour ensuite faire les adieux définitifs… L’humain malheureusement devenu objet de marchandage partait pour ne plus jamais revenir.
Le Sénégal, le mot de la fin
Le Sénégal est un pays qui semble avoir été figé dans le temps. Peut-être a-t-il beaucoup de peine à évoluer dans ce XXI siècle tel qu’on le connaît ici, de l’autre côté de l’Atlantique. J’ai observé que malgré l’insalubrité globale et le manque de ressources primaires, le peuple Sénégalais semblent voir leur vie comme un cadeau divin et sacré. Ces gens ne peuvent comprendre, par exemple, qu’un occidental s’enlève la vie par choix et c’est en réalité ce que j’ai le plus aimé de ce pays, ces gens et leur bonheur de vivre. Cette beauté qui surgit du chaos représente sans aucun doute leur principale richesse.
Après les quelques peurs et angoisses du début, nous sommes toutes revenues saines et sauves et notre mission a bien été accomplie. Cet « intermède de vie », comme l’a si bien décrit l’une d’entre nous, pourrait être aussi décrit comme une brève, mais intense coupure de la réalité, un saut ailleurs ou une pause de la vie normale, c’est exactement ça que nous avons toutes vécu au Sénégal, un saut dans l’inconnu total. Maintenant que nous sommes revenues en terre familière, cet intermède m’apparaît déjà comme un rêve lointain, aussi vrai que déconcertant. Même avec toutes les informations et les récits que nous avons à notre disposition sur ce pays, je confirme que le Sénégal faut le voir et le vivre pour peut-être le comprendre un peu plus…
Article rédigé par Brigitte Thériault Photographe.
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