Je te mentirais si je te disais que je n’ai pas peur. Peur pour nous deux oui, mais surtout que je me perde dans l’immensité du monde, émerveillée par tant de beauté au point d’en oublier de revenir. Alors oui, je l’admets, j’ai peur. J’ai peur que, à force de me promener avec mon Osprey comme maison, je perde la citoyenneté de ton cœur. Parce qu’on ne se le cachera pas, obtenir une place de choix dans ton cœur, c’est aussi difficile que d’obtenir un visa en oubliant son passeport à la maison.

J’ai peur de te laisser seul derrière moi et que tu finisses par te tanner du fait de ne pas avoir de mes nouvelles tous les jours parce que je suis trop occupée à découvrir de nouveaux horizons. J’ai peur que tu finisses par faire une écoeurantite aigüe à t’inquiéter pour moi et t’imaginer dans quelles situations pas possibles je me suis encore mise. J’ai peur que tu n’en puisses plus de laisser ton cœur partir en balade avec une nomade qui ne sait jamais où elle va et quand elle compte revenir… Je sais pertinemment que mon mode de vie peut être exaspérant, mais le voyage est au nomade ce qu’est au feu le vent : il éteint le petit, mais attise le grand. Un touriste se contentera d’une semaine dans le sud tandis qu’un voyageur ne sera tout simplement jamais satisfait : un petit désir sera comblé par une semaine à Cuba dans un tout inclus une fois par année, mais je ne fais pas partie de cette catégorie-là et je m’en excuse vraiment.

Le monde a tellement à nous apprendre, tellement à nous offrir. Voyager seule, c’est le fun! Je le sais, je l’ai fait et je vais le refaire. Sauf que, à un moment ou à un autre, on se rend compte qu’il manque quelque chose d’important : quelqu’un avec qui partager toute la beauté du paysage qui nous entoure et toute l’intensité du moment qu’on est en train de vivre. J’aimerais tellement que cette personne ce soit toi, sauf que j’ai peur que tu ne veuilles jamais voir le monde avec moi. Mais, j’ai aussi surtout peur qu’on ne soit pas compatibles pour le visiter ensemble, parce que Dieu sait que l’on ne connait pas une personne tant et aussi longtemps qu’on n’a pas voyagé avec elle. J’ai peur que tu sois un touriste et moi une voyageuse. J’ai peur que tu m’arrives avec un itinéraire tout fait pour me faire plaisir question que je ne me casse pas la tête, mais j’aime ça moi, me plonger pendant des heures dans les pages d’un Lonely Planet ou d’un Routard. Tu vas peut-être trouver ça stupide, mais j’aime ça moi, l’odeur des vieux livres emplis d’histoire, mais j’ai aussi peur que tu ne partages pas mon avis.

Je ne suis pas tellement « musée », je le sais que toi non plus, mais j’ai quand même peur que tu me dises le contraire une fois sur place. J’ai peur que tu ne sois pas capable de gérer mes crises d’anxiété quand on me répondra quelque chose qui va me contrarier dans une langue dans laquelle je vais comprendre un mot sur deux. J’ai peur que tu chiales sur tout en ne voulant pas t’écarter hors de ta zone de confort pour essayer de nouvelles choses. Je le sais que ce n’est pas ton genre, sauf que j’ai peur pareil.

J’ai peur que tu veuilles faire des plans, mais j’ai encore plus peur que tu te résignes à ne pas en faire. J’aimerais tellement que ce soit toi et moi, nous, contre le monde, à la recherche de notre petite parcelle de bonheur.

Sauf que j’ai peur. Non, je n’ai pas peur, je vais le dire : j’ai la chienne. La chienne parce que je ne peux pas t’offrir une petite vie paisible et te promettre que je vais rentrer tous les soirs à 17h, ce n’est pas moi ça. J’ai la chienne que tu me demandes de revenir en me lançant des ultimatums au lieu de simplement me dire que je te manque. Fred Pellerin a déjà dit que «Le voyage c’est l’ensemble de toutes ces petites histoires-là qu’on ramasse sur les détours qui nous mènent bien souvent chez nous». En gros, j’ai la chienne que tu ne m’offres pas l’opportunité ou encore le luxe de revenir par moi-même.

Malgré tout ça, il n’y a rien de comparable à la chienne que j’ai chaque fois que mon vocabulaire opte pour un mot faisant partie du champ lexical des voyages, parce que j’ai peur que ce que j’ai à t’offrir ne te suffise pas et ne te suffise jamais…

Article rédigé par Élodie Beauvais

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