Il y a les voyageurs qui planifient, que ce soit à la dernière minute ou des mois d’avance. Règle générale, ils s’assurent de respecter leurs visas et d’avoir un endroit où dormir chaque soir. Mais il existe aussi un autre type de nomade; celui qui ne croit pas au système et qui refuse de vivre à l’intérieur des limites que celui-ci lui impose. Son parcours est souvent plus risqué, mais ô combien imprédictible. Au cours des derniers mois, j’ai rencontré quelques personnes qui ont à la fois bénéficié et souffert de leur désir insatiable de liberté. Voici l’histoire de deux d’entre eux.
Le premier est dans la fin vingtaine, originaire du Portugal et vogue autour du globe depuis plus de cinq ans. J’ai fait sa connaissance dans un bar au Laos où il se promenait pieds nus, à la recherche d’amis avec qui passer la soirée. Pour être tout-à-fait honnête, je voyais que les gens l’évitaient poliment en raison de son allure un peu délabrée. Force m’est d’admettre que j’ai également hésité à entretenir la conversation lorsqu’il s’est assis à côté de moi et s’est présenté – un peu par inconfort ou par ignorance peut-être.
C’est autour de quelques quilles de bière qu’il m’a raconté que, un bon matin, il a eu envie de voir autre chose que son chez soi et est parti, juste comme ça. Sa première destination a été la Bolivie. Il ne s’est jamais préoccupé des 90 jours de visite auquel il avait droit et est resté plus de six mois à camper sur le bord du lac Titicaca. Nombreux ont été ceux qui ont essayé de le faire bouger parce qu’il « dérangeait la vue », mais il s’entêtait pour la simple et bonne raison qu’il aimait cet endroit.
Puis un jour, la police s’en est mêlée et a découvert qu’il avait largement dépassé la période de visite permise. Ils l’ont emmené à la frontière péruvienne où les douaniers ont essayé de lui soutirer de l’argent en échange d’une étampe de sortie du pays. Bien qu’il avait les moyens de payer la somme demandée, il était hors de question qu’il encourage cette forme de corruption et a décidé de traverser la frontière sans preuve de départ. Sans étampe de sortie d’un pays, il est impossible d’obtenir une étampe d’entrée d’un autre pays et c’est le début d’un cercle vicieux interminable.
Il s’est donc faufilé au Pérou et s’est réfugié dans une auberge de jeunesse à proximité de la frontière où plusieurs autres voyageurs illégaux se trouvaient. La situation étant connue de la police locale, celle-ci a fini par faire une descente après quelques semaines et il s’est fait ramené aux portes de la Bolivie. Cette fois, les douaniers boliviens l’ont reconnu et ont voulu faire un « compromis » avec lui: s’il payait à manger à toute l’équipe, ils fermaient les yeux sur sa situation et le laissaient réintégrer le pays. Après un peu de marchandage, il s’en est sorti en payant un Coke à tout le monde et est retourné s’installer au bord du lac Titicaca.
L’histoire s’est répétée à deux reprises et, lorsqu’il a finalement décidé de quitter l’Amérique du Sud après trois longues années, il est retourné rendre visite aux douaniers pour obtenir son étampe de sortie. Au fil des ans, ils avaient développé une sorte de camaraderie malgré les circonstances et ces derniers l’ont même invité à se joindre à eux pour souper avant d’étamper son passeport – sans aucun frais!
D’une part, j’ai écouté son histoire avec beaucoup d’intérêt et je me surprenais chaque fois qu’il s’esclaffait en me détaillant ses enjeux légaux. Lorsqu’on s’est quittés et qu’il est parti dormir à la belle étoile quelque part dans la jungle, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il avait vraiment de l’audace, mais que sa témérité aurait aussi bien pu lui coûter très cher.
D’autre part, j’ai également rencontré quelqu’un qui a connu l’envers de la médaille de cette soif de liberté. Cette personne a quitté son pays natal avec l’intention de s’éloigner de son passé et de tout recommencer à zéro. Au même titre que mon ami portugais, il s’est risqué à défier l’autorité, mais dans un pays nord-américain qui ne tolère pas la corruption de la même façon. Il est resté au Canada un an de plus que ce que son visa lui permettait et, depuis, il n’a jamais pu y remettre les pieds. L’amende qui l’attend s’il décide de rentrer au bercail est assez salée.
Ce dernier nomade n’avait pas du tout la même vivacité lorsqu’il m’a fait part de son histoire. Au contraire, sa voix était teintée d’amertume et de regret. Le Canada était pour lui une sorte de havre de paix, un endroit où il avait l’opportunité de refaire sa vie telle qu’il l’entendait. Dans son cas, le système l’a emporté sur sa vision nonchalante et utopique d’un monde où les limites frontalières ne sont pas un obstacle au bien-être de ses habitants. Aujourd’hui, il ère le globe un peu désespérément à la recherche d’un nouveau chez soi.
Enfin, quelle que soit la façon dont on décide de voyager, je crois qu’il est important de savoir ce que l’on est prêt à risquer afin de vivre des péripéties romanesques ou simplement de s’attacher à un lieu qui a une date d’expiration bureaucratique. Il y a quelque chose d’admirable dans le fait de vivre selon ses convictions, mais il faut garder en tête que, de vivre au gré du vent, ça implique aussi souvent de nager à contre-courant.
Article rédigé par Véronique Dubé.