Voyager, c’est avant tout un état d’esprit. Au beau milieu de l’inconnu, on est qui on veut, comme on veut, sans censure. Un peu comme si toutes nos peurs étaient atténuées par la distance qui nous sépare de notre chez nous, ce petit cocon douillet qui est trop souvent synonyme de zone de confort. Ou du moins, c’était ce que je croyais avant d’entreprendre mon tour du monde en novembre 2016. Aujourd’hui, alors que j’en suis à mon septième mois de voyage consécutif, je réalise que c’est les deux pieds ancrés dans mon appartement de la rue Saint-Denis à Montréal que j’ai vécu le plus grand sentiment de libération en lien avec mon désir de tout quitter.

Dromadaires du Sahara, Maroc

Dromadaires du Sahara, Maroc

Peut-être cette idée paraît-elle incongrue, mais elle est pourtant vraie. À partir du moment où j’ai su que j’allais partir à l’aventure pour une période indéterminée, soit environ six mois avant le grand départ, ma vie a pris un tournant inattendu. Soudainement, mon temps était compté et, sans trop m’en rendre compte, je ressentais une certaine urgence. Néanmoins, ce sablier qui s’écoulait à toute vitesse n’était pas une source de stress, au contraire, il m’incitait à me laisser aller et, surtout, à oser. Oser être moi-même et m’exposer sous toutes mes couleurs en assumant pleinement le regard d’autrui. Après tout, je n’avais plus rien à perdre; bientôt je serais loin.

Petit à petit, j’ai senti que je remettais mes priorités à la bonne place. Je prenais la vie plus à la légère, au sens où je ne m’en faisais plus avec des situations banales qui auraient auparavant été des irritants dans mon quotidien. Si je manquais de sommeil au travail parce que j’avais passé la nuit à éditer des photos la veille, je m’en foutais, j’avais eu du plaisir à le faire et, surtout, je ne m’en plaignais pas. Si j’avais envie d’envoyer un message texte au gars qui me plaisait, je n’y pensais pas à deux fois; au pire, je ne le reverrais plus d’ici quelques semaines s’il n’était pas intéressé. En fin de compte, j’embrassais la vie avec simplicité et spontanéité, dans la mesure où je ne limitais pas mes instants de bonheur aux possibles impacts qu’ils auraient sur mon futur. D’une certaine façon, j’avais besoin de me prouver que rien n’était grave; je m’apprêtais quand même à flamber mes épargnes, vendre tous mes biens et quitter mon emploi.

Puis, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, je suis partie. Du jour au lendemain, juste comme ça, je me suis perdue dans un tourbillon de questionnements. Plus ça allait, moins je savais quelle direction emprunter. J’avais l’impression de voguer un peu n’importe où et sans but précis. Étant naturellement très orientée vers la réussite, j’étais rongée par un besoin d’accomplissement personnel. Il était hors de question que je rentre au Québec les mains vides et, surtout, en ayant l’impression d’avoir perdu mon temps. Je devais donc trouver le moyen de faire en sorte que ce grand projet de voyage ait une retombée d’envergure sur ma vie. En vérité, toute cette pression que je m’imposais ne faisait qu’handicaper mon potentiel et nuire à ma créativité. Comment était-ce possible que je me sente à ce point coincée, alors que je n’avais en réalité aucune contrainte?

Chamera Reservoir, Inde

Chamera Reservoir, Inde

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Aujourd’hui, j’ai fait l’achat d’un billet d’avion Rome-Montréal. Dans deux mois, je serai de retour à la maison. En cliquant sur « confirmer » après avoir entré mes informations de carte de crédit, un sourire m’a échappé. J’ai réalisé que, comme lors de mon départ, c’est au moment où j’ai su que j’allais rentrer chez moi pour l’été que mon aventure a réellement pris tout son sens plutôt qu’à son commencement. En effet, depuis mars dernier, je suis à nouveau sous l’emprise de cette forme de presse stimulante qui me pousse à vouloir tirer le maximum du temps que j’ai devant moi avant de passer à la prochaine étape de ma vie.

Dès lors, je me suis mise à cocher un à un les items de ma liste d’aspirations de voyage et, ce, en faisant fi des difficultés rencontrées : faire un trek de huit jours dans l’Himalaya malgré mon manque d’entraînement, rendre visite à des amis qui me sont très chers au Maroc en dépit du prix exorbitant du billet d’avion, recommencer à faire des portraits selon un concept prédéfini parce que, en fin de compte, ce sont les gens qui m’interpellent le plus et, ce, même si les photos de paysages sont souvent plus populaires et demandent moins de réflexion. Bref, j’ai investi mon temps dans des activités et relations qui me rendaient heureuse plutôt que de me projeter dans l’avenir à savoir ce que je retirerais de tous ces efforts.

Portrait réalisé à Fez, au Maroc

Portrait réalisé à Fez, au Maroc

Finalement, s’il y a une chose que j’ai apprise du cheminement que j’ai effectué depuis le jour où l’idée de tout quitter m’a traversée l’esprit, c’est qu’il y a plus à gagner à faire de sa route vers le succès une aventure exaltante et passionnée qu’à constamment chercher à en justifier la cause. Comme José Mujica, ancien président de l’Uruguay, le disait dans le documentaire Human : « Quand j’achète quelque chose, quand tu achètes, toi, on ne le paye pas avec de l’argent. On le paye avec le temps de vie qu’il a fallu dépenser pour gagner cet argent. À cette différence près que la vie, elle, ne s’achète pas. La vie ne fait que s’écouler. Et il est lamentable de gaspiller sa vie à perdre sa liberté. » En ce sens, pour moi, ce n’est pas nécessairement le voyage lui-même qui me procure le plus grand bien, mais bien la façon dont il a de me rappeler le caractère éphémère de toute chose et l’importance d’en tirer profit avant qu’il soit trop tard. En définitive, n’est-ce pas exactement lorsque l’on prend conscience de cette finalité inéluctable que l’on se sent le plus vivant?

Désert du Sahara, Maroc

Désert du Sahara, Maroc

Article rédigé par Véronique Dubé