On dit toujours que c’est le genre de chose qui arrive seulement aux autres, que ça nous fait chier de payer des assurances voyage pour absolument rien, mais cette fois-ci, mon orgueil de femme indépendante en a pris un coup parce que, non, je n’ai pas pu m’en sortir toute seule. J’ai eu besoin de l’aide extérieure, entre autres pour ne pas être victime de viol, parce que dans l’état où j’étais, n’importe qui de mal intentionné aurait pu tirer profit de la situation. Tous les spécialistes disent que de réussir à mettre des mots sur ce qui nous arrive est déjà une bonne façon de connecter les événements avec la réalité. Alors oui, même si j’essaie de me le cacher, je dois l’admettre : j’ai été droguée contre mon gré.
Je ne suis pas encore certaine qu’écrire cet article est une bonne idée, parce que pour être honnête, je ne sais pas encore si je suis prête à en parler ouvertement. J’essaie encore de me dire que rien de tout ça n’est arrivé, mais à toutes les fois que je mets le pied hors de ma zone de confort ou hors de chez moi point, quelque chose ou quelqu’un s’empresse de me rappeler que, oui, c’est arrivé.
Que je sois prête ou non à en parler, c’est une chose, mais que vous, en tant que lecteur, soyez prêt ou non à le lire, ça en est une autre. Je pourrais continuer de faire comme je l’ai toujours fait et vous écrire des articles sur le bien-être que peut procurer un billet d’avion, mais cette fois-ci, je préfère vous mettre en garde : il y a des voyages qui peuvent changer une vie. Cette phrase-là, vous pouvez l’interpréter comme vous le voulez. Sauf que, pour une fois, j’aimerais vous montrer l’envers du décor. Parce que ce n’est pas vrai que les choses sont toujours parfaites ; ce ne sont pas tous les voyages qui se déroulent à merveille. Et je vais même piler sur mon orgueil et vous confier un secret. Depuis le temps que vous lisez mes articles ici, je pense qu’on est rendus là. Je vais piler sur mon orgueil et vous avouer que j’ai eu peur. Pire que ça, c’est devenu une cause d’anxiété et j’y pense toutes les minutes de chaque jour.
Je n’ai pas été victime de viol, mais cela ne veut pas dire que la culture du viol n’existe pas pour autant. Ce n’est pas partout ailleurs sur le globe que des individus comme Koriass essaient de mettre des mots sur ce qu’est la culture du viol pour essayer de rendre les autres individus plus humains justement, en tentant du mieux qu’ils peuvent de les sensibiliser. Sauf que cette culture-là, elle existe encore beaucoup plus qu’on le pense dans le monde du voyage. Je pense entre autres au trafic humain ou encore au tourisme sexuel. Je vous donne les exemples extrêmes, vous allez me dire. Peut-être, mais il ne faut pas se voiler la face ou encore se mettre la tête dans le sable : ce sont des choses qui existent. On refuse simplement de les mettre en lumière en se disant que si on ne les voit pas, ces problèmes de société n’existent pas.
Les mauvaises langues diront que je n’ai pas regardé mon verre d’assez près, que j’étais juste trop saoule, que je n’ai pas fait attention, mais en tant qu’employée d’une entreprise qui produit et distribue des boissons alcoolisées, c’est le genre de situation à laquelle je porte plus attention que la moyenne des individus, parce que je connais tous les dangers qui peuvent être reliés à la consommation d’alcool. Mais à l’évidence, je n’ai pas été assez vigilante. L’erreur est humaine, il n’y a personne de parfait. Mais qu’on se comprenne : personne, et je dis bien personne, ne mérite d’être victime d’un viol, peu importe la situation! La ligne est mince, mais aussitôt qu’il n’y a pas de consentement, c’est un viol et cette vidéo saura vous l’expliquer très clairement.
J’ai eu la chance d’avoir croisé sur ma route de bons samaritains qui ont eu la décence de faire venir une ambulance parce que, oui, j’en ai eu besoin. J’aimerais tellement pouvoir vous raconter ce qui s’est réellement passé, mais la seule chose sur laquelle je peux me baser, c’est le rapport médical que m’a remis la dame qui s’est occupée de contacter mon assurance voyage, parce que j’étais inconsciente, donc dans l’incapacité de le faire moi-même et je vous jure que ce qui est écrit là-dessus a de quoi faire peur à n’importe qui.
En passant, un gros merci à mon assurance voyage d’avoir mis une clause dans son contrat qui stipule qu’elle ne rembourse pas les frais médicaux pour les problèmes reliés à la consommation d’alcool et la prise de drogue, qu’elle ait été volontaire ou non.
L’erreur est humaine, je vous l’ai dit. J’ai bu LE verre de trop. J’ai perdu la carte complètement et pas seulement celle que je traînais sur moi ce soir-là. On pense que ce que l’on voit dans les films est exagéré, mais je peux vous dire que non. Je peux également vous dire que de se réveiller dans une ville étrangère, couchée dans un lit d’hôpital, entourée de personnes que l’on ne connait pas avec un soluté dans le bras et un masque d’oxygène au visage, ce n’est pas super rassurant non plus. Encore moins quand lesdites personnes ne parlent pas votre langue.
J’ai été droguée contre mon gré à Madrid. Et même si j’ai les pieds sur la terre ferme de l’île de Montréal, je vous confirme que je suis encore à Madrid. Parce que je suis traumatisée. Complètement. Parce que quand je suis revenue, j’ai serré ma maman trop fort dans mes bras et je lui ai fait promettre de ne plus jamais me laisser partir toute seule. Parce que cet événement-là m’a enlevé le goût de voyager. Parce que je viens encore les yeux plein d’eau quand quelque chose me contrarie et me ramène à ce moment-là. Parce que j’ai peur. Je l’admets : j’ai peur… Je ne suis pas invincible.
Pour les papas et les mamans qui lisent ces lignes, gardez en mémoire que c’est le genre de chose qui peut arriver n’importe où dans le monde, à Madrid comme à Montréal. Le fait d’empêcher vos enfants de voyager seuls ne les protégera pas de ce genre de danger. Et pour les voyageurs qui lisent mes mots en levant les yeux au ciel et en se disant : »Bin oui, on le sait qu’il faut faire attention », j’aimerais sincèrement que vous preniez mon histoire comme un dernier avertissement avant de boire une gorgée du verre que vous avez peut-être présentement à la main… Un viol, ça arrive beaucoup plus vite qu’on le pense et, non, ce n’est pas toujours super violent comme la télévision nous le démontre.
J’ai été chanceuse dans ma malchance ; je suis tellement consciente que les choses auraient pu se passer encore plus mal. Et si, par le plus pur des hasards, il y a des voyageurs qui étaient là ce soir-là qui croisent cet article, j’aimerais leur dire merci du plus profond de mon cœur. Parce que la drogue du viol mélangée à l’alcool est un cocktail explosif qui fait grimper en flèche le nombre de grammes d’alcool présent dans le sang et, vu le taux d’alcoolémie inscrit sur le rapport médical, je vous dois la vie, carrément. En plus, grâce à vous, je n’ai pas été victime de viol. Vous avez été vigilants et je vous en serai éternellement reconnaissante.
Personne n’est à l’abri de se faire mettre quelque chose dans son verre. Même si on regarde le bartender quand il le prépare, même si on ne laisse pas notre verre traîner sur une table, même si on a toujours une main dessus quand on danse, même si tu n’es pas une femme. Un accident, c’est si vite arrivé.
Article rédigé par Élodie Beauvais
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juin 4, 2017
Salut Elodie,
Tu as tout mon soutien. J’imagine qu’il t’a fallut du courage pour te confronter à cette histoire et l’écrire. C’est bienheureux que ça se soit bien fini pour toi, c’est une chance; mais c’est injuste. Toi qui avait l’amour du voyage, que tout te soit brisé à cause de l’égoïsme et de la cruauté… C’est vrai, on connait la menace, mais on se dit « il faut bien vivre », il ne faut pas s’empêcher de faire ce que l’on aime parce qu’il y a des mauvaises personnes. Mais je dis, en ayant jamais vécu un fait aussi grave. Je comprend qu’une fois que c’est arrivé, que le viol est commis, on se demande si ça vallait la peine. Si ça vallait la peine de voir toutes ces choses, rencontrer ces gens, sortir ce soir là, oui c’était sympa, mais après cela les personnes touchées sont marquées à jamais… C’est du gâchis. C’est cruel. Je ne prend pas assez conscience du danger, j’en ai conscience. Je croise les doigts, et je prie, parce que j’ai la chance d’avoir la foi. Mais je suis peut etre, un peu trop, inconsciente? Ou bien est-ce normal? Parce que j’ai envie de vivre des choses, de voyager seule, de sortir le soir, et je n’ai pas envie que la crainte d’un viol m’en empêche. Je me perd un peu, mais la finalité est de dire: tu n’y peut rien, bien sur, si tu es traumatisée. C’est un moyen de défense. Mais si tu as des rêves, des envies… Alors merde, ne laisse pas cette peur les briser. J’espère que tu arriveras à la battre, à lui faire un pied de nez et à vivre, tout simplement, plus prudemment peut-être, mais comme tu l’entend.
juin 4, 2017
Merci d’avoir partager et de faire voir le côté dark qu’on peut vivre en voyage….j’ai vécu une histoire assez spéciale en Inde ou j’ai eu très peur et par chance j’ai pu m’en sortir…J’ai continué a vivre ma vie de nomade mais je suis moins innocente, je fais confiance à la vie et je vais de l’avant…..MERCI
juin 5, 2017
Je t’envoie juste tout mon soutien, et tout mon amour, même si on ne se connait pas. <3
juillet 24, 2017
Bonjour Élodie,
tout d’abord, un grand merci d’avoir partager cette expérience horrifiante.
On n’est jamais assez prudent et malheureusement c’est tombé sur toi. Je suis heureuse que tu sois tombée sur de bonnes personnes qui t’ait permis d’avoir accès à une ambulance et « limiter » les dégâts. Même si physiquement tu restes intacts, le traumatisme moral est bien là. N’hésites pas à en parler à un professionnel et à mettre des mots sur ce que tu vis et ressens pour aller de l’avant.
Je trouve que c’est très bien que tu en parles sur Nomade car c’est un lieu d’échange sur le voyage et il ne doit pas se faire seulement autour d’expérience positives. Tes mises en garde sont plus que bienvenues dans ce contexte.
Je te souhaite un bon courage comme un rapide rétablissement!
avril 10, 2018
J’ai pris connaissance de vos messages et même si j’ai pris beaucoup de temps avant de vous répondre, j’aimerais que vous sachiez que chacun de vos commentaires, chacun de vos mots me va droit au cœur. Souvent, on se demande si nos mots font la différence, j’aimerais vous dire que oui. J’ai fait des mises en garde, j’ai voulu montrer le côté sombre du voyage, mais chacune à votre façon, vous m’avez apporté du courage. Je repartirai. Je ne sais pas quand, je ne sais pas où et je ne sais pas pendant combien de temps, mais vous avez raison : la peur ne devrait pas nous empêcher d’être qui l’on est et elle devrait encore moins faire en sorte que l’on décide d’amputer une partie de soi. Merci, mesdames, de m’avoir ouvert les yeux 😉
juin 4, 2019
Il y a quelques mois, il m’est arrivée la même chose à Santorini mais, une fin inconnue. Y a pas un soir où je me couche en passant à cet évènement et je me réveille souvent sur la même note. Je me rend compte que beaucoup de femmes sont victimes et c’est vraiment triste de constater que nous serons jamais à l’abris. Nous sommes sont tous vulnérables et surtout en voyage. Bravo pour ton courage, tes mots m’ont fait du bien ce matin.