Beaucoup de gens me disent souvent que je suis chanceuse de voyager autant. Non, ce n’est pas de la chance, c’est un choix.

Cours d’économie, deuxième année de cégep

Il y a un principe économique qui va comme suit : à tout achat/investissement/name it, il y a un coût de renonciation. Je me souviens très bien de ce cours en particulier, malgré le fait que j’étais souvent déconcentrée par la ressemblance flagrante entre mon prof et feu frimousse, mon chat de l’époque. Mais je m’égare.

Le coût de renonciation qui découle de toute décision représente tout ce à quoi tu renonces suite au choix que tu viens de faire. Si tu décides de faire des études supérieures par exemple, tu renonces au salaire que tu ferais si tu allais directement sur le marché du travail. Si tu décides de faire du bénévolat, tu renonces à une plage de temps libre. Si tu décides de t’acheter une maison, tu renonces à plusieurs choses qui dépendent évidemment de ton compte en banque, de ton style de vie et de tes priorités. Chacun a son propre coût de renonciation correspondant à sa propre décision.

Le coût de renonciation d’un voyage

Je vais écrire noir sur blanc quelque chose que beaucoup de gens semblent oublier quand ils nous disent que l’on a de la chance de voyager : à tout voyage correspond un coût de renonciation.

Mes amis commencent à s’acheter leur maison, leur condo : pas moi.  Mes amis s’achètent, se louent des voitures : pas moi. Mes amis ont presque tous remboursé leur dette étudiante ou n’en ont tout simplement pas… On n’en parlera même pas. Mes amis ont des économies… On va encore moins en parler.

Décider de partir aussi « souvent » à l’étranger ne vient pas sans son lot de « sacrifices ». Je mets « sacrifice » entre guillemets, parce que je trouve que c’est un peu fort comme mot, mais que je n’en ai pas de plus approprié. Je ne les vois pas comme des sacrifices. Je les vois comme un à côté, comme l’argent du beurre, comme un « tu ne peux pas être à deux endroits à la fois ». En somme, je les vois comme des coûts de renonciation.

Pour moi, ces « sacrifices » sont moindres que tout le positif que je retire de mes voyages. Les rencontres de gens incroyables, les amitiés fortes, sincères et instantanées qui se créent, les moments magiques d’émerveillement, les anecdotes rocambolesques qui te font sourire rien qu’à y penser, la boule au ventre que tu ressens chaque fois que tu te remémores un souvenir de voyage que tu affectionnes, les fois où tu as le souffle coupé par trop de beauté, les moments difficiles que tu vis qui te font réaliser à quel point tu as évolué, les évènements qui te permettent de voir que tu es devenu une meilleure version de toi-même.

« Les voyages sont l’éducation de la jeunesse & l’expérience de la vieillesse. »  -Francis Bacon

Mon choix

La grosse maison, la belle voiture, le chalet, la passe de ski… Qui ne voudrait pas tout avoir dans un monde utopique où tout est possible? Je veux dire avoir tout ça et voyager. Ok, je mens, j’ai peur de faire du ski et, pour moi, une auto c’est bien juste un moyen de transport ce qui fait que je me fous éperdument de ce à quoi elle ressemble. Il y a aussi assurément des gens qui peuvent financièrement se permettre tout ça, mais un coût de renonciation n’est pas que monétaire.

Notre temps est l’une des choses les plus précieuse que l’on possède, parce qu’on ne pourra jamais le rattraper. « Rattraper le temps perdu » est une belle expression, mais ce n’est justement qu’une expression. Voyager prend de ton temps, du temps que tu ne passeras pas avec tes proches, des évènements que tu vas manquer, des moments que tu ne vivras pas avec ta gang d’amis.

En ce qui me concerne, je ne peux pas me permettre tout ça. Pour être 100% franche, je me suis permise des voyages pour lesquels je n’avais pas les moyens. Je me suis endettée pour les faire, même si j’ai toujours travaillé depuis l’âge de 14 ans. « Franchement, s’endetter pour un voyage c’est niaiseux! »… S’endetter pour une maison, pour une voiture, pour des meubles, pour des électroménagers, ça ne l’est pas? Mettre des sorties au resto et une couple de morceaux de vêtement sur sa carte de crédit puis piger dans sa marge de crédit pour payer moins d’intérêt, c’est normal right? Alors pourquoi ce n’est pas la même chose pour voyager?

Le Petit Prince a dit : «  l’essentiel est invisible pour les yeux »… et j’ajoute qu’il est aussi intouchable pour les mains.

Est-ce l’éternel argument que, une fois le voyage fini, tu n’as plus rien alors que ta maison est un investissement? On s’endette pour nos études et notre diplôme est la seule chose physique qui nous reste en mains. Est-ce que ça veut dire que ça ne vaut rien? Ces gens qui sortent ce genre d’argument n’ont rien compris aux voyages comme moi je les vis. Il ne me reste peut-être plus rien de matériel, mais il me reste bien plus. Il me reste une panoplie de souvenirs gravés à jamais dans ma tête et mon cœur, des amis à travers le monde, des aventures qui m’ont fait vivre des émotions fortes, des leçons que j’ai tirées de mon propre vécu, des apprentissages sur la vie mais aussi sur moi-même, une compassion plus grande pour l’autre avec un grand A, des opinions plus fondées, des expériences épanouissantes… Je suis devenue une meilleure version de moi-même.

IMG_2605 (2)Vivre 4 jours dans un village Akah au nord de la Thaïlande avec cette grand-mère et ce petit chou qui me suivait comme mon ombre est le genre de moment privilégié qui restera à jamais gravé en moi.

C’est une décision surtout de cœur, mais aussi de tête. C’est tout mon salaire qui y passe, mes études qui sont mises de côté et mon temps qui ne reviendra jamais.

C’est le choix que j’ai fait, c’est pour tout cela que je voyage. C’est pour tout cela que voyager n’est pas de la chance.

Je tiens à faire une parenthèse : je sais que je suis une privilégiée de la vie. Privilégiée d’être née à l’endroit et dans le contexte dans lequel je suis née et de pouvoir me permettre des voyages alors que d’autres personnes peinent à se nourrir et à avoir un toit au-dessus de leur tête. Cet article, je l’ai écrit en fonction du fait que ceux que j’entends souvent dire qu’on est chanceux de voyager sont des personne autant privilégiées que moi… Ils ne s’en rendent peut-être tout simplement pas compte. C’est aussi pour ça que les voyages sont si beaux, révélateurs et formateurs : je suis consciente de la chance que j’ai de vivre la vie que je vis. Mais ça, c’est leur choix. 

Signée la paumée chanceuse.

Article rédigé par Isabelle Sundara

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