Cela faisait quelques temps que l’idée de partir seule en randonnée me tournait dans la tête, mais je n’avais encore jamais osé sauter le pas. J’étais à Ténérife aux îles Canaries depuis un mois environ et il me restait cinq jours avant que je ne doive reprendre l’avion. On m’avait répété que La Gomera était vraiment une belle île, pleine de sentiers pédestres. Quelques jours plus tôt, j’avais rencontré un jeune belge qui en revenait et qui m’avait donné une carte de l’île dont il n’avait plus besoin.

Il ne m’en fallu pas beaucoup plus pour que je décide, à la dernière minute, de réserver un ferry en direction de la fameuse petite île. C’était parti pour 4 jours, 3 nuits à La Gomera, seule, avec du matériel de camping que l’on m’avait prêté.

Jour 1

Il n’est pas sans dire que j’avais quelques peurs et doutes à l’idée de me retrouver seule dans la nature et, notamment, de faire du camping sauvage. Et si ma première journée se passe bien, c’est la nuit venue que mes appréhensions me rattrapent, une fois installée dans ma tente, au milieu de nulle part, cherchant le sommeil en vain. Chaque souffle de vent et autre bruit de la nature environnante m’effraie. Je suis a l’affut du moindre son « anormal » et, ayant l’imagination débordante, je crois à plusieurs reprises entendre des pas d’humains s’approcher de ma tente. Heureusement, tout n’est que dans ma tête.

Jour 2

Le lendemain, après cette courte nuit, j’entre dans la grande forêt de lauriers qui constitue le parc national de Garajonay, situé au centre de l’île de la Gomera, où se trouve son sommet. La brume et l’humidité omniprésentes lorsque je pénètre dans la forêt rendent l’ambiance mystérieuse et me fascinent. Arrivée au sommet du parc (à environ 1400 mètres d’altitude), la vue tant attendue sur l’île et sur la mer ne sont pas au rendez-vous. À la place, une belle brume épaisse empêche de voir quoi que ce soit à plus de dix mètres. Pas de chance pour cette fois, mais je continue ma randonnée en marchant à travers la forêt où l’atmosphère est toujours tout aussi envoûtante.

Pour ma deuxième nuit, je me réfugie dans le seul camping de tout le parc national. C’est un petit camping rustique, étagé en terrasses. Les douches sont installées à l’extérieur, si bien que je me délecte de la vue sur les montagnes tout en profitant de l’eau bien chaude.

On trouve aussi au-dessus du camping un petit restaurant qui sert des plats typiques canariens où je m’accorde un bon repas, et ça fait du bien !

Ici, il n’y a pas grand monde et je rencontre les deux seuls occupants du camping ; un Anglais venu à La Gomera faire du vélo à travers l’île et une jeune Espagnole adorable qui, partie en voyage pour quelques mois, a finalement élu domicile ici, travaillant dans le restaurant en échange de son logement. Je passe une soirée sympathique avec eux autour d’un feu. Mais la fatigue me rattrape vite, et je n’oublie pas les kilomètres qui m’attendent.

Jour 3

Troisième jour. Alors que je m’apprêtais à reprendre ma route, j’apprends qu’il existe un « tunnel pédestre » de 500 mètres dont l’entrée est juste à côté du camping. Seulement, il y a de l’eau qui s’y écoule et, si au début elle n’est qu’à hauteur des chevilles, on ne peut pas vraiment savoir jusqu’où elle monte à l’autre bout… Je ne suis absolument pas équipée pour traverser un tunnel d’eau, mais quoi, je suis ici pour l’aventure et l’occasion est trop bonne. J’ajuste ma lampe frontale, retire mes chaussettes, retrousse mon pantalon et plonge les pieds dans l’eau… Ouch ! Elle est glaciale et me taillade les pieds. Rien à faire, je suis déterminée. J’avance d’un pas décidé et je compte mes pas à voix haute, mes paroles résonnant dans le tunnel. Petit à petit, la température de l’eau devient supportable, mais le niveau commence à monter doucement et j’ignore jusqu’où il va arriver. Mais j’avance, et à un moment donné je ne vois plus ni l’entrée, ni la sortie du tunnel. Et puis l’eau finit par me monter jusqu’aux cuisses, mais pas plus haut, ouf !

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Après être sortie du tunnel, je poursuis ma randonnée sur quelques kilomètres. Puis, je sors du parc et de la forêt et me retrouve rapidement dans un paysage beaucoup plus sec, avec un grand soleil. Je marche encore quelques temps avant de me dire qu’il faudrait que je commence à me chercher un lieu où passer la nuit. J’arrive dans le petit village de Pavon où un grand massif rocheux appelé La Fortaleza se présente face à moi. L’idée de dormir là-haut me paraît tout à fait alléchante. La lumière commençant doucement mais sûrement à annoncer la fin de la journée, je monte en trombe les 700 mètres de hauteur qui me séparent du sommet, malgré un chemin assez abrupte. Arrivée en haut, la vue est magnifique et l’espace est tellement grand que je pourrais largement trouver un spot pour planter ma tente. Mais le vent souffle fort et rien pour m’abriter. Et en explorant les alentours, je rencontre des chèvres sauvages. Je repense immédiatement à ma dernière expérience avec une chèvre : alors que j’étais partie me baigner, une chèvre était venue dépouiller le contenu de mon sac resté sur la plage pour manger le peu de nourriture qui s’y trouvait. Au vu de la nourriture que j’ai dans mon sac à dos, j’abandonne l’idée de passer la nuit ici. Je redescends du massif, puis traverse le petit village à vive allure, espérant, dès sa sortie, pouvoir trouver un endroit plus approprié. Quant je sors enfin du village, je me rends compte qu’une seule petite vallée me sépare du prochain village. Malgré les mauvaises conditions pour s’installer ici (la route passe juste à côté, il y a du vent fort et le sol est assez rocailleux), je décide de m’y arrêter pour la nuit. De toute façon, le soleil s’est déjà enfui à l’horizon et je n’ai pas tellement d’autre choix.

Fatiguée, je me glisse dans mon sac de couchage, sous un arbuste, pour dormir à la belle étoile. À 1h du matin, je me fais réveiller par une petite bruine. Je jette ma toile de tente sur moi en me disant que ça va passer. Quinze minutes plus tard, c’est l’averse totale. Je me lève en panique et j’essaie, malgré le vent et la pluie, de monter ma tente tant bien que mal avant de me glisser avec toutes mes affaires dedans. La tente se plie en deux sur moi à chaque coup de vent et le bruit est assez infernal. Mais, au moins, je suis au sec et j’essaie de dormir avant que le soleil ne se lève, dans quelques heures seulement.

Jour 4

Le lendemain, au lever du jour, la pluie est toujours là. J’ouvre ma tente histoire de jeter un œil aux alentours, le ciel est d’un gris épais et la brume m’empêche de voir bien loin. J’attends encore une petite heure dans ma tente, espérant que le soleil apparaisse. Mais rien à faire. Je décide alors de ranger mes affaires au plus vite et courir le kilomètre qui me sépare du prochain village.

Il est à peine 7h30 du matin lorsque je l’atteint enfin, dégoulinante de pluie. Le village est mort, pas un humain éveillé, pas un chat, pas un véhicule. Et il pleut toujours en trombe. J’aperçois au loin un petit café et m’y dirige à vive allure, avec l’espoir qu’il soit ouvert. Évidemment, nous sommes aux îles Canaries et le tempérament espagnol n’est pas vraiment du genre lève-tôt. Je me trouve face à une porte fermée. Je me réfugie alors sous un porche d’entrée. Et j’attends. Une heure, deux heures, rien, ni personne. Et puis soudain, comme sorti de nulle part, un vieux monsieur avec sa canne vient se mettre à l’abri de la pluie, juste a côté de moi. Dans un espagnol approximatif, je lui demande s’il sait si un bus pour aller vers San Sebastian (là où je reprends mon ferry) va passer prochainement. Il me répond que oui, un bus va passer, et dans moins de dix minutes ! Un grand soulagement m’envahit, ouf !

Mais, je réalise alors qu’en prenant ce bus, je n’aurais pas l’occasion de finir ma randonnée jusqu’au point d’arrivée que je m’étais fixé. Tant pis, je ne vais pas m’acharner sous la pluie et, de toute façon, je suis trempée jusqu’à l’os. C’est donc dans ce petit village et sous cette pluie que ma randonnée s’achève. Je tire de cette belle aventure un enseignement certain, tant sur le plan pratique (surtout quant à mon équipement et à l’étude de la carte) que sur le plan spirituel et sur mes capacités à m’adapter, seule, dans la nature. Je ne regrette rien, encore moins mes mésaventures, qui n’ont rendu l’expérience que plus enrichissante.

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